A l’autre bout du téléphone, le souffle de son frère était haletant : il avait couru. Bianca resta interdite pendant un moment. Que dire ? Après tout, elle aussi était terrorisée. Jusque-là elle n’avait pas vraiment voulu y croire : cela paraissait tellement irréel, tellement fou. Ses dernières illusions venaient de s’évanouir avec ces quelques mots.
Jean-Guy reprit :
« Bianca, la zone va être évacuée. Je serai de retour demain dans la journée … Je suis désolé. J’aurais dû te croire, j’aurais dû ... »
Bianca l’interrompit :
« Jean-Guy, arrête ! De toute façon, tout le monde m’a prise pour une folle, alors il n’y avait aucune raison que tu n’aies pas la même réaction. Enfin, c’est du passé. Rentre vite, je t’attends. On parlera plus tard. »
Bianca raccrocha. Elle savait qu’elle avait été dure avec lui mais son frère avait le don de l’énerver profondément avec ses perpétuels regrets. Bianca balaya la pièce du regard. Le livre était posé sur son bureau. Il fallait s’y intéresser de près. Elle était persuadée, sans savoir pourquoi, que ce livre était la clef de tout.
Le lendemain, son frère arriva aux alentours de 14 heures. Bianca partit le chercher à la gare. Le trajet en voiture jusqu’à son appartement se fit en silence.
Quelques instants plus tard, elle introduisait la clef dans la serrure de son logement. Le claquement familier du verrou retentit. Les deux jeunes gens entrèrent. A cet instant, Jean-Guy ouvrit la bouche. Bianca le coupa avant qu’il ne puisse produire le moindre son :
« Dans le livre. C’est dans le livre que j’ai trouvé à la dernière page l’information qu’un séisme se produirait le 30 mai 2013 avec l’Ardèche pour épicentre. Jean-Guy, ce livre contient 2013 chapitres. Chaque chapitre parle d’un événement historique important survenu durant l’année, or cet événement marque la fin du livre. Tu ne comprends pas, Jean-Guy ? C’est la fin ! La fin ! »
Les yeux du frère de Bianca s’écarquillèrent. Il saisit sa sœur par les épaules. « Bianca calme-toi, calme-toi ! Tu as des preuves de ce que tu avances ? Il peut y avoir un autre livre reprenant à l’année 2014. Tout cela n’est peut-être qu’une coïncidence ! Hein, Bianca, tu as des preuves ? »
Elle baissa les yeux, incertaine.
Jean-Guy soupira de soulagement. Pendant un moment, il avait cru … Non, rien n’était fait et tout restait à prouver.
Il prépara du café et rejoignit la jeune femme devant la table où se tenait l’inquiétant ouvrage. La nuit allait être longue.
Vers deux heures du matin, exténués, les deux jeunes gens s’écroulèrent sur le canapé. Dehors, le vent fouettait avec violence les vitres des fenêtres. Ils n’avaient rien trouvé. La nature de ce livre restait un mystère absolu ainsi que la raison pour laquelle on l’avait envoyé à Bianca. Cette dernière tourna son regard vers la cheminée. Un feu rougeoyant s’y consumait. Dans quelques heures, tout s’arrêterait peut-être et alors, l’humanité s’éteindrait comme une bougie sur laquelle on souffle. Cette pensée était terrifiante.
Soudain une idée folle lui traversa l’esprit :« Détruisons-le. Jetons ce livre au feu. ».
Jean-Guy la contempla, silencieux. Jusque-là, chaque indice qu’ils avaient trouvé, chaque supposition qu’ils avaient faite n’avait fait que confirmer l’hypothèse apocalyptique de Bianca. Même lui avait à présent du mal à garder son calme : la peur commençait à l’envahir.
Bianca répéta :
« Jean Guy, brûlons-le. Si nous le détruisons, qui sait, l’événement pourrait s’annuler, nous pourrions vivre ! »
Jean-Guy prit sa sœur dans ses bras. Elle paraissait à première vue si forte, un roc sur lequel on pouvait toujours s’appuyer, et pourtant, parfois, il avait l’impression qu’elle était faible comme un nouveau-né. Faible, surtout quand on parlait de la mort. A ces moments-là, Jean-Guy croyait voir une lueur de folie briller dans ses yeux. Une folie rageuse, désespérée. Il fallait qu’il la protège. Brusquement, il se leva, saisit le livre et le jeta au feu. Bianca se redressa soudain, comme au bord d’un précipice sans fond d’incertitude et de peur : était-ce le bon choix ? N’avait-elle pas condamné l’humanité tout entière par la suggestion de cette idée ? Si jamais elle avait fait une erreur, si jamais le séisme se produisait malgré tout, si jamais… Son frère la retint par le bras. Bianca cessa toute résistance, elle s’écroula. C’était trop tard, déjà le livre se consumait avec une ardeur diabolique dans les flammes rougeoyantes de la cheminée.
Bianca leva les yeux vers le ciel. Il était d’un bleu azur et une légère brise vint lui caresser la nuque. Bianca goûtait aux moindres plaisirs que pouvaient lui offrir la vie. Quelques heures après avoir brûlé le livre, un flash d’information avait été diffusé à la télévision : les scientifiques étaient revenus sur leurs prévisions, la terre s’était calmée. Il n’y aurait pas de séisme ! Elle ne savait pas si la destruction du livre était à l’origine de leur salut. Jean-Guy, de son côté, y croyait dur comme fer pour le seul plaisir de pouvoir se répéter qu’il avait sauvé le monde. Décidément, pensa Bianca, son frère resterait un gamin toute sa vie ! Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle resta immobile quelques secondes encore, avant de repartir d’un pas décidé : il ne fallait quand même pas qu’elle arrive en retard à son entretien d’embauche !
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histoire 9