– Tim… commence Rose.
– Oui, Rose.
– J’ai fait un rêve étrange à ton sujet.
– Ah ! Ce n’est que cela ! J’ai cru que tu allais me dire que tu renonçais à notre petit rendez-vous au musée.
– Mais non, voyons ! J’aime beaucoup ce musée ; c’est juste que ce rêve, il était vraiment bizarre…
Rose raconte à Tim la fugue, le phare et la rencontre avec un certain Arthur…
Tim éclate de rire. Il dit à Rose que c’est un beau rêve qu’elle a fait là, mais qu’elle a un peu trop d’imagination et que ce sont de simples coïncidences.
– Mais tu lui ressembles beaucoup, précise Rose. Et la cicatrice que tu as à la main est exactement la même que dans mon rêve...
Il touche sa cicatrice mais ne répond pas. Il semble mal à l’aise...
Rose lui récite alors : « Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées... ». Elle est étonnée d’avoir si bien retenu ce poème, elle qui d’habitude passe plusieurs heures à apprendre ses poésies !
– C’est beau, n’est-ce pas ?
Tim reste silencieux et finit par avouer. Il a d’abord étudié Arthur Rimbaud en classe, puis a trouvé un recueil dans la bibliothèque de sa grand-mère ; depuis il adore ce poète. Un peu honteux, il explique qu’il essaie de l’imiter, qu’il écrit des poèmes comme lui, qu’il voudrait voyager comme lui. Il s’est fait la cicatrice lui-même, parce que Rimbaud en avait une lui aussi, celle que lui avait faite Verlaine. Tim ajoute en souriant que par contre, lui, il n’est pas homosexuel !
Ils arrivent au musée. Rose est très impatiente de lui montrer la tête Mundurucu. Certes, elle l’a déjà vue de nombreuses fois, mais avec Tim, tout est différent. Elle se sent très émue. Elle se rend compte que ce qu’elle ressent envers Tim est déjà très fort, bien qu’ils ne se soient vus qu’une seule fois.
– Tu es prêt ? lui demande-t-elle joyeusement.
– Oui, avec toi, je veux tout voir et tout faire…
Rose rougit et baisse la tête. Il s’approche d’elle, lui passe le bras autour des épaules. Elle est à la fois très surprise et très heureuse…
En sortant du musée, Tim propose d’emmener son amie dans son endroit fétiche.
– Chacun son tour, précise-t-il en riant. Moi j’adore les lieux calmes, d’où on peut contempler le monde en hauteur. C’est un magnifique phare, pas très loin d’ici après le vieux port…
Rose n’en revient pas : le phare est exactement celui de son rêve et au même endroit. Près du port et à côté d’un bateau qui lui est également familier : il était lui aussi dans son rêve. La lumière est la même que dans son rêve. Tout est exactement identique : Tim, le phare, le paysage, tout, à part le fait qu’ils n’ont pas fugué.
Ils montent tout en haut en se tenant par la main. Le ciel est magnifique. Ils contemplent la mer dans un silence total. Une vue que Rose ne reverra plus si souvent… Ils ne parlent toujours pas, juste cet incroyable paysage, le vent frais et quelques mouettes qui planent. Rose se met à trembler dans le froid, Tim lui pose sa veste sur les épaules, lui sourit, rapproche son visage. Rose ferme les yeux. Elle sent un doux baiser se poser sur ses lèvres. Mille papillons explosent dans son ventre, son esprit se vide… C’est la première fois, et elle sent qu’après cela, elle ne sera plus jamais la même.
Au retour, ils marchent silencieusement. Mais Rose est en retard. Les parents l’attendent depuis un bon moment. Ils sont furieux. C’était censé se passer normalement, sans problème, sans obstacle. Une sortie comme ça entre deux nouveaux amis pour apprendre à se connaître, mais non. Il faut toujours que tout se termine dans un bazar pas possible et que les parents viennent tout gâcher...
Rose, le coeur en déroute, ouvre la portière et s’installe dans la voiture, qui démarre aussitôt. Le regard plein d’amertume, elle voit Tim s’éloigner et disparaître. C’est alors qu’elle se rend compte qu’ils n’ont pas échangé leurs numéros de téléphone et qu’elle ne sait même pas où sa grand-mère déménage !
Un mois passe. Rose pleure tous les jours. Elle ne peut imaginer la vie sans Tim.
Et puis un jour, elle décide d’aller de l’avant...
Dix ans plus tard.
Rose a fini les Beaux-Arts. Elle est de passage à Marseille. Elle revient au Panier et retourne au musée. Elle se perd dans la contemplation de la tête qui l’a tant obsédée adolescente, si loin qu’elle en fait tomber son carnet de croquis. Elle se baisse pour le ramasser en même temps qu’un jeune homme. Leurs mains se touchent. Sur celle du jeune homme, Rose découvre une cicatrice...