Hugo est sur le point de poster la vidéo quand soudain, il lui revient à l’esprit qu’il aurait pu se faire attraper par les patrons de l’atelier clandestin.
Il était rentré discrètement grâce à l’aide d’une des ouvrières qui lui avait ouvert la porte, tandis que les autres étaient en train de distraire les contremaîtres. Il s’était faufilé entre les personnes pour rapidement se cacher derrière un mur tout en filmant avec son portable et la perche que son père lui avait offerte avant de partir, en souvenir de lui. La crainte de se faire prendre était oppressante, il essayait de se décaler derrière les portants d’habits, mais il ne parvenait pas à tenir correctement la perche de son téléphone tant il était angoissé à l’idée de ne pas repartir avec des preuves. Mais il gardait espoir, il l’aurait cette vidéo ! Il avait continué à filmer quelques minutes, avant de repartir, toujours grâce à l’aide des ouvrières. Une fois à l’extérieur, il avait filmé la façade de cet entrepôt pour ne rien perdre de ce qui s’y passait. Il était reparti en tenant son téléphone comme un trésor.
Oui, il est prêt. Hugo met la vidéo à 18h30 sur Internet, sur des réseaux sociaux : Twitter, Facebook, Snapchat, Instagram. 3 heures plus tard, des commentaires apparaissent :
« Anonyme : Tu peut nous donner plus d’informations, sur la vidéo mais moi je crois ce que tu as filmé. »
« Marie94 : Je ne crois pas a ce que tu a poster c’est du fake mais je suis interéser de regarder l’endroi ou il y a l’atelier clandestin. »
« Christophe92 : Pk n’as tu pas montré la vidéo a la police ? »
« Younes213 : Wallah, ta raison mais moi je dis que tu doit faire un rdv pour montrer l’atelier clandestin. »
« Sofiane69 : C’est pas assez prési, il n’y a pas de lieu ni adresse. »
« Hugo93 répond à Sofiane69 : Le lieu ce situe Rue Petit, Passage Dubois dans le 10e Arrondissement »
« GabrieldeCannes : C’est du fake !!!!!!! »
Arrivé au collège, Hugo était assez anxieux d’annoncer à ses camarades l’idée que les commentaires lui ont inspirée. C’est vrai : on pourrait dire qu’il recherche plus d’attention qu’il n’en a déjà, que c’est un enfant gâté. Plus les cours passent, plus l’angoisse monte. Comment va-t-il leur dire ? Monter sur la table et crier sa fameuse proposition ? Non, c’est une mauvaise idée, il faut trouver le moment opportun. Le faire en sport ? Non, il ne serait pas présentable. En anglais ? Avec tout le brouhaha qui règne, on ne lui accordera aucune attention. Le dernier cours de la journée ! Ça sera le moment parfait pour le dire. Et dans le pire des cas, il courrait et rentrerait chez lui à toute vitesse, s’enfermerait à jamais dans sa chambre, tant la honte serait immense et on l’oublierait. La sonnerie retentit et le tire de ses pensées. La prof termine le cours de musique comme si de rien n’était. Ça y est, c’est à lui de jouer, l’avenir de toutes ces pauvres femmes est entre ses mains. Il n’a plus qu’à l’annoncer, ce n’est pas si compliqué finalement, il faut juste le dire et voir la réaction de la classe. Ils ont un cerveau. Ils pourront très bien comprendre et agir, nan ? Ce n’est pas comme si c’était des inconscients ou des sauvages manquant d’ouverture d’esprit. Soudain, il se lève et dit tout, d’une traite. Un silence pesant s’installe. Il reste planté debout, attendant une réaction comme un signal. Seule la sonnerie lui répond.
Mais dès qu’il sort, ses camarades l’interpellent :
– T’es sérieux ?
– Ça craint ce que tu montres dans ta vidéo !
– Tu penses qu’on doit aller manifester devant cet atelier clandestin ?
– Personne n’aura d’ennuis ? Il prend une grande inspiration.
– Il faut se faire entendre si on veut les sauver.
La date et le lieu de la manifestation se répandent dans le collège comme une traînée de poudre ! Hugo est soulagée. Mais en rentrant chez lui, il réfléchit aux commentaires sous la vidéo et à ce que ses amis lui ont dit sur sa qualité.
C’est pas faux : la vidéo était floue et mal cadrée, le son était inaudible. Il veut retourner à l’atelier pour en faire une meilleure, pour prouver que ce qu’il a lancé n’est pas une rumeur. Mais quand il était allé là-bas pour la première fois, il avait eu la boule au ventre, des sueurs froides, il tremblait parce qu’il avait peur d’être pris. La deuxième fois, il sera déterminé, il prouvera à tous que les ouvrières sont exploitées. « Cette fois, c’est la bonne, j’y vais comme un bonhomme », se dit-il. H&M prévoit de s’y rendre à 23h00 pour profiter de la nuit afin de se fondre dans le décor avec sa tenue noire. À 22h40, il commence à préparer ses affaires, il enfile des chaussures adéquates. Arrive 22h59, il compte les secondes. 23h00 pile, il se précipite dans l’ascenseur, il vérifie ses affaires : perche à selfie, portable… ? Aïe ! Il se rend compte qu’il l’a oublié !!! Pas le temps de prendre l’ascenseur, il enjambe les marches quatre à quatre, s’énerve en cherchant ses clés dans son gros trousseau. 23h15, enfin toutes ses affaires sont prêtes.
C’est bien là. Même de nuit, il a facilement retrouvé le chemin. Tout est bien calme cependant. Il se risque à l’intérieur et découvre… que l’atelier est vide ! Rien ! Plus de tables, plus de machines, plus de tissu, plus d’ouvrières, tout est désert et poussiéreux, comme si l’endroit n’avait jamais été occupé ! Hugo est dans tous ses états, entre l’affolement, l’angoisse, et la crainte, son coeur rate un battement. Abandonnant toute discrétion, il balaie les lieux du faisceau de son portable et cherche désespérément une trace des ouvrières. Est-ce que c’est ma faute si elles ont disparues ? Je n’aurais peut-être pas dû faire cette vidéo, je les ai mises en danger. Quel idiot !
Au bout de trente minutes, dans un coin sombre de cet immense entrepôt, où personne n’aurait pensé jeter un coup d’oeil, Hugo tombe par hasard sur un bout de tissu rouge avec une inscription. Une lueur d’espoir éclaire sur son visage pâle. Il déchiffre :
"crire mo por dir adrez parking indigo rue corbillon"
Dès qu’il découvre le message, il bondit de joie. Il va tout faire rentrer dans l’ordre, et la manifestation pourra avoir lieu, mais une seule question lui reste dans l’esprit : comment diffuser l’information sans éviter un nouveau fiasco ? Ne faudrait-il pas demander à un adulte ?
Son père ? Non il ne l’a pas vu depuis longtemps. Et ça serait étrange après une telle absence de lui dire tout ça.
Sa mère ? Non plus, elle ne le prendrait pas au sérieux. Elle lui dirait qu’il n’a pas le droit, qu’il faut laisser faire la police. Mais maintenant Hugo en a conscience, c’est de la responsabilité de chacun d’agir ! Il ne faut pas fermer les yeux. Trop de questions, mais pas assez de réponses. Tant pis, tandis qu’il rentre, il prend une décision : il publiera l’information sur les réseaux sociaux le plus tard possible et entre temps, il fera fonctionner le bouche à oreilles du collège.
Le lendemain, ils sont quarante devant le nouvel atelier. Hugo est très surpris de constater la présence de certains adultes au milieu des collégiens quand une voix le fait sursauter :
– Bien joué Hugo !
C’est sa prof de musique ! Il lui demande ce qu’elle fait là.
– Tu sais, nous les profs, on vous écoute aussi. Et… on discute. Je trouve que ton travaille de lanceur d’alerte est brouillon mais ta cause est juste. D’ailleurs, tiens.
Hugo écarquille les yeux.
– M’dame, vous avez écrit une chanson sur ça ?
– On est là pour se faire entendre, non ?