Une odeur fétide flottait dans l’air. Bianca, prise de haut-le-cœur, s’avança vers le cadavre. Il portait une tenue traditionnelle en lambeaux et, malgré l’état de décomposition du corps, ils comprirent qu’il s’agissait d’une femme. Mateo aperçut un tiki autour du cou de la morte. La forme de ce dernier interpella Bianca et elle le reconnut : elle sortit son tiki et les compara. Elle constata qu’ils étaient identiques !
C’était sa Tipuna, celle qui les avait gardés dans leur enfance ! Les petits gâteaux préparés par Hakaora revinrent à l’esprit de Bianca, et tous les bons moments passés avec elle. Quand elle réalisa que le cadavre était celui de sa Tipuna, Bianca s’effondra, fondit en larmes. Un grand vide envahit son cœur et elle se retrouva choquée, coupée de la réalité, comme si tout se déroulait à distance.
Mateo se précipita vers elle, surpris par sa réaction. Il l’entoura de ses bras et l’amena hors de la grotte pour qu’elle prenne l’air. Bianca reprit ses esprits et expliqua ses découvertes à son frère : les tiki, la photo et l’identité de ce cadavre. Matéo cacha son émotion, mais des larmes brillaient dans ses yeux.
Le frère et la soeur retournèrent vers le guide pour lui demander des explications : « Que fait notre Tipuna au fond de cette grotte ?
– Je ne sais pas vraiment, sans doute était-elle une personne importante dans la tribu Mayoka. Je peux vous emmener voir cette tribu, qui se trouve dans la forêt, au fond de la vallée, de l’autre côté du lac.
– Allons-y ! ».
Bianca, son frère et le guide se mirent en route et descendirent péniblement le long du chemin pierreux. La cheville de Bianca la faisait souffrir. Quelques heures plus tard, ils arrivèrent au bord du lac, et la jeune femme fut soulagée de s’assoir enfin dans la vieille pirogue trouvée par leur guide pour traverser. Chacun se posait des questions silencieuses au sujet du cadavre d’Hakaora, en cachant sa tristesse.
Ils arrivèrent ainsi sur une petite plage de sable, accueillis par deux femmes de la tribu Mayoka. Bianca et Matéo leur demandèrent de les mener au chef. Les deux femmes les emmenèrent dans un village fait de petites maisons de briques d’un rose orangé. Au centre du village, sur la place, un homme au visage tatoué semblait raconter une histoire à des enfants joyeux. Bianca et son frère se rapprochèrent de ce groupe. Les enfants se levèrent à leur vue et coururent à leur rencontre, intrigués par la couleur de leur peau.
L’homme au visage tatoué s’avança vers eux et Bianca s’écria : "Mais je vous reconnais ! Vous êtes le coursier qui m’a donné l’enveloppe ! Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que toute cette histoire ?!
– Oui, c’est moi. Je m’appelle Aïtu. Vous deviez venir en Nouvelle-Zélande pour accompagner Hakaora dans son voyage vers la mort ! Il faut transférer sa dépouille dans le sanctuaire de la tribu. On a besoin de vous ; est-ce que vous avez trouvé le papier avec les runes ? Il nous indiquera la place qu’elle doit prendre dans le tombeau.
– Oui, mais je n’ai pas encore eu le temps de le déchiffrer !
– Je vais vous aider. Hakaora descend de nos grands chefs. Le séjour dans la grotte constitue son premier repos. Elle mérite maintenant de rejoindre l’arbre sacré Pohutukawa et de retrouver ses ancêtres à Hawaiiki."
Aïtu leur expliqua le déroulement du tangihanga, enterrement traditionnel maori.
Il aida Bianca à traduire les runes qui constituaient la dernière volonté de leur Tipuna : elle souhaitait reposer sous la voûte de vers luisants, là où elle se réfugiait depuis toute petite quand elle pensait à ses parents décédés peu de temps après sa naissance.
Trois jours plus tard, toute la tribu se mit en route pour célébrer l’enterrement dans la grotte de Waitomo. Bianca, Matéo et Aïtu partirent dans une vieille Jeep décorée de symboles maoris. L’homme aux tatouages les dirigea vers une impasse terminée par une magnifique cascade. L’eau scintillait au soleil : une entrée pour les grottes se trouvait là, ignorée des touristes et des guides.
Ils passèrent derrière la cascade masquant l’entrée et montèrent dans des pirogues qui se trouvaient-là. Leur guide leur expliqua qu’il s’agissait de pirogues sacrées, uniquement utilisées dans l’organisation du service funéraire traditionnel des membres de la tribu. Tous les descendants des grands chefs étaient enterrés dans cette partie de la grotte, qui était un territoire sacré.
Ils suivirent la rivière souterraine, sous un plafond constellé de petites lumières produites par les vers luisants. L’endroit était empreint d’une atmosphère inquiétante, comme s’ils étaient observés.
Ils arrivèrent dans une grande salle ornée d’immenses totems et de tikis. Des tombeaux étaient éparpillés tout autour de la grande salle. Tout le monde se rassembla autour de celui qui avait été construit pour Hakaora. La cérémonie commença. Après des discours, la fermeture du cercueil, le chef déposa sur le tombeau une cape sacrée, tissée de fibres végétales et de plumes d’oiseaux multicolores, afin que l’esprit de la morte s’y réfugie. Pour cela, les femmes entamèrent un chant de bienvenue, un tangui, qui donna des frissons à l’assemblée. Ensuite, l’homme tatoué annonça à Bianca que c’était à elle de mettre la cape sacrée afin de libérer l’esprit de Hakaora. Bianca regarda Matéo d’un air anxieux et, après un moment d’hésitation, elle la prit, non sans réticence. La cérémonie continua avec des poèmes et des chants.
Puis, toute la tribu retourna au village, au Maraé, maison des ancêtres, pour la suite du tangihanga. Bianca et Matéo, un peu déroutés, restèrent un instant auprès de leur Tipuna pour se recueillir sur son cercueil, avant de rejoindre les autres au village. Selon les rites maoris, Bianca remit la cape sacrée aux anciens du village et, dans une ambiance festive, des femmes se mirent à danser. La jeune femme et son frère, tout à leur peine, s’étonnèrent de voir les gens si joyeux. Aïtu s’approcha d’eux, les enlaça et leur déclara : « Malgré la peine, la vie continue ! ». Ces mots les touchèrent et ils se joignirent à cette fête mortuaire, si éloignée de leurs habitudes françaises, mais si réconfortante.
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histoire 6
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5/ Voyage vers l’autre monde
26 février 2013, par Collège Eugénie de Pomey, Collège Eugénie de Pomey -
4/ Le retour sur les traces de ses ancêtres
21 janvier 2013, par Collège Jacques Coeur, College Jacques CoeurBianca est assise dans l’avion, son cœur bat la chamade... Revenir sur la terre de son enfance, cela lui fait un choc... Dix-huit ans qu’elle s’est tenue loin de ce pays. Soudain, un souvenir refait surface : elle se souvient du jour où elle jouait avec son frère et leur tipuna dans une grande prairie d’herbes hautes... Hakaora avait du mal à les voir car les enfants étaient moins grands que les herbes et, couraient dans tous les sens... La vieille femme, ne les voyant plus, avait commencé à paniquer... Et, tout à coup, surgissant de nulle part, ils lui avaient sauté au cou..! L’émotion l’envahit … Elle voudrait revenir dans ce passé, où tout était simple...
Une fois l’avion atterri, Bianca se précipite vers la porte de sortie pour aller récupérer ses bagages. Elle prend alors un taxi qui la conduit vers sa maison d’enfance... Elle y pénètre, respire profondément, erre de pièces en pièces... Elle saisit nonchalamment sur une étagère un papier froissé... C’est un texte ancien, jauni par le temps, où apparaissent des signes... C’est du runique, elle reconnaît l’écriture, la même que sur ses anciens livres islandais... Cela lui rappelle le roman de Jules Verne qui débute par un message codé. Elle trouve aussi une photo qui l’interpelle, comme si tout avait été mis en évidence pour son regard... Il s’agit du portrait d’une vieille femme sérieuse et froide : ses longs cheveux noirs sont en arrière et laissent apercevoir son tiki. Cette femme, Bianca l’a reconnue, c’est la même que celle qui figure sur la photo qu’elle a dans son sac : même femme, même tiki, et au dos le nom Fuocco, suivi d’un texte en runique. Ce texte est illustré par des images étranges, de culture maorie. Le thème de la mort semble apparaître aussi : un document expliquant des rites funéraires, peut-être. Bianca met ses documents dans son sac, elle aimerait poser de nombreuses questions à Matéo, quand elle l’aura retrouvé : son métier de spéléologue, sa culture devraient éclaircir ce mystère maori.
Soudain, elle entend le carillon retentir... Il est déjà l’heure de rejoindre le guide qu ’elle avait engagé la veille. Elle saute donc dans le taxi qui l’attendait...
Arrivant sur le lieu du rendez-vous, elle fait connaissance avec le guide et lui explique qu’elle doit retrouver son quelqu’un aux grottes de Waitomo. Ne connaissant pas la région, elle lui demande donc de l’aide afin de s’y rendre le plus vite possible.
Au bout d’une heure, le trajet emprunté par Bianca et le guide commençait à être périlleux : le terrain glissait, une pente qui menait à la grotte parut à la jeune traductrice difficile à prendre, Bianca n’en pouvait plus... Le terrain devenait presque inaccessible mais le guide soutenait Bianca en lui tenant la main pour l’aider à avancer... Cette pente glissait tellement, que Bianca tombe mais le guide parvient à la relever. Ce dernier parlait danois, c’était un homme de haute taille, un grand gaillard. Il avait une force peu commune, « je ne m’en étais pas rendue compte quand il avait réussi à me hisser jusqu’en haut » se dit Bianca. Sa force révélait un tempérament d’un calme parfait. On sentait qu’il ne demandait jamais rien à personne et qu’il travaillait à sa convenance. Le personnage était grave, flegmatique et silencieux.
Enfin, elle aperçoit l’antre de la grotte... Le guide demande alors : « la suite de notre excursion ? » « Oui ». Ils reprirent la route, lampe torche en main. Le voyage se fait en silence. Les deux explorateurs sont concentrés et ne veulent surtout pas briser la concentration indispensable au bon déroulement de leur expédition. Tout se passe bien... Lorsque Bianca se blesse ! Elle crie, et le guide, plus en avant, retourne la voir. La jeune aventurière s’est foulée la cheville dans un trou. Le guide part immédiatement chercher de l’aide, en rebroussant chemin. Il ne reste plus à Bianca qu’à attendre à présent...
Une heure plus tard, une lumière luit dans le fond de la grotte : Matéo ! Il était là, comme son message l’avait indiqué.... Le frère relève sa sœur !
Bianca est très émue de le revoir :
« Je suis venue car j’ai reçu une photo d’une vieille femme avec un tiki et je voulais t’en parler, et je ...
– Justement, Bianca... la coupe Matéo.
– Oui ?
– Viens voir, j’ai découvert quelque chose plus bas dans la grotte... "Bianca et Matéo se mettent en route vers le bas de la grotte.
Dix minutes plus tard ils arrivent sur les lieux :
« Regarde... C’est un cadavre que j’ai découvert il y a deux jours..." -
3/ Un tiki pour Waitomo
10 décembre 2012, par Collège Jean Jaurès, Collège Jean JaurèsIl est tard maintenant. La lumière froide de la lune plonge le salon dans une étrange atmosphère. Au loin, un chien pousse un hurlement. Bianca prend une cigarette sur son bureau. Comme une sentinelle, le tiki semble la suivre de ses yeux de sang et lui chuchoter : « Rappelle-toi, Bianca ! Rappelle-toi de Hakaora ! »
Alors la jeune femme se souvient de tout : son enfance en Nouvelle-Zélande, le Cap Reinga, les grottes humides et intrigantes, tombaux des anciens… Bianca et son frère vivaient là-bas avec leurs parents, de célèbres ethnologues. Lorsque ces derniers devaient s’absenter, c’était la vieille Hakaora qui les gardait, leur « tipuna », leur mamie maorie. Descendante d’une lignée de chefs, elle en avait l’autorité naturelle, la générosité et la grandeur d’âme. Le soir, face à la lune, elle racontait des légendes captivantes qu’elle entrecoupait de chants tribaux envoutants. Depuis ce temps, Bianca ressentait profondément le mystère des mots, ce qui l’avait menée à son métier de traductrice, tout en oubliant, peu à peu, l’origine de cette passion.
La jeune femme a soudain besoin de parler à son frère, d’évoquer avec lui la mort de leurs parents et le retour en France, terrible, glacé, en janvier 96. Elle l’appelle. Un message sur le répondeur parle d’un départ soudain pour la grotte de Waitomo. La voix rassurante trahit l’excitation. L’envie de voyager la prend. Elle doit impérativement revoir les lieux de son enfance.
Elle finit sa traduction en vitesse. Trop émue, écrit un peu n’importe quoi, envoie le texte à l’éditrice, réclame son salaire ce qui lui permettra d’acquitter un aller pour Wellington. Dans la valise elle cachera le tiki, la photo et le vieux Jules Verne. Bianca est prête à partir. -
2/ L’héritage
17 octobre 2012, par Collège Jean Moulin, Collège Jean MoulinCœur arrêté, mains moites et tremblantes, sang figé. Ses doigts désordonnés déchirent l’enveloppe kraft. Comme pour prendre une goulée d’air, c’est vers la fenêtre qu’elle tourne son visage. Image noire du frac de la corneille comme un avertissement. Et si c’était un piège ? Comme un appel au réel, les sermons de la grande bringue grincent dans sa tête chamboulée. Il est encore temps de s’arrêter, de ne pas savoir, de s’interdire la parenthèse inattendue ouverte par le tatoué.
Expédiée, décachetée, oubliée ! Eh bien non ! Plutôt laisser tomber la grande bringue. Au diable le loyer. On verra plus tard. Le contenu de l’enveloppe se déversait déjà sur son bureau : un pendentif, une carte mémoire, quelques pages arrachées d’un vieux livre.
Bianca était une femme, Instinctivement, elle saisit le bijou. Elle n’avait jamais vu une chose pareille ! C’était un pendentif en pierre verte – les trous usés au sommet du crâne l’attestaient - représentant un être asexué : la tête du personnage reposait sur son épaule gauche, comme si elle était trop lourde ; les mains reposaient sur les cuisses en tailleur, comme si un lourd travail venait de s’achever ; mais ce qui était le plus remarquable, c’est que, sous un front bombé, deux immenses yeux ronds cirés de rouge mangeaient un visage à la fois simiesque et poupin. Bianca se sentit appelée par ce regard si doux et si lointain. Respectueusement, elle caressa ce qu’elle supposa être du jade. De petites entailles, sans doute dues au temps, déchiraient le corps aux formes arrondies et généreuses. A y regarder de plus près cependant, au dos, une sorte de macule fit à son œil l’effet d’une tache d’encre ; sa lampe Led Micromax lui permit de distinguer quelques caractères à demi effacés. Qu’est-ce que cela ?
Après avoir rêvé un bon moment, Bianca pose l’objet. Le sang de bibliophile qu’elle a dans les veines fait le reste : vite, que racontent ces pages orphelines ? Le mot « maori » revient sur chacune d’elles.
Une, particulièrement, attire son attention : « La légende du jade maori ». Tout n’est pas lisible à cause de l’usure du document. Mais elle arrive à distinguer quelques mots : « Traditionnellement, les maoris n’achètent jamais du jade pour eux-mêmes, préférant attendre qu’une pièce leur soit offerte. Ce cadeau est censé transférer à son possesseur une partie du pouvoir, ou « mana » de celui qui offre. »
Elle tourne la page... lit, intriguée, la légende du jade appelé aussi « pounamu » : un jour, l’esprit du lac « Poutini » tomba amoureux de la femme d’un chef maori ; il l’enleva. Le mari les retrouva. Poutini transforma alors celle qu’il aimait en pierre verte.
Plus loin, une image qui donne à voir la même forme que le pendentif vert de l’enveloppe. Son regard glisse sur la légende : « un tiki ». Ne vient-elle pas de lire quelque chose sur cet objet ? Retour en arrière. « Le Tiki est le symbole des ancêtres que les maoris se transmettaient de génération en génération... Il restait parfois plusieurs années dans la grotte où était déposé le corps mort de son possesseur ; puis on le récupérait pour le transmettre à nouveau... »Une seule chose restait sur le bureau, une petite carte mémoire bleue de 4 Giga-octets.
Le cœur battant, elle l’insère dans le lecteur de son ordinateur. Un message apparaît en bas à droite de l’ écran : un périphérique de stockage a été détecté. Elle prend la souris en main, clique. Deux fichiers apparaissent : « Bianca Fuoco / Grotte Waitomo » et « Photo-tiki » . En voyant son nom sur un fichier, son sang ne fait qu’un tour. Aussitôt, elle l’ouvre. Une photo très sombre ! Une large entrée, des formes étranges comme des pictogrammes sur les parois, et surtout une multitude de points lumineux agrippés au plafond. Une atmosphère irréelle... A la suite, un document texte nommé « Légende ». La grotte aurait appartenu à un chef Maori nommé Te Kooti. Son tombeau serait dans une salle secrète creusée dans la roche, on ne l’aurait jamais retrouvé.
Bianca est troublée. Songeuse, ses yeux se posent sur le tiki... Que signifie tout cela ? Pourquoi elle ? Quel lien avec le peuple maori ? Dehors, la corneille est toujours là, l’oeil vif et curieux.
Soudain, le second fichier lui revient à l’esprit : « Photo-tiki ». Elle l’ ouvre, fébrilement. S’affiche la photo d’une vieille femme : de longs cheveux noirs s’éclaircissant sur les tempes ; une peau halée ; un nez épaté ; des yeux noirs et perçants soulignés par les rides. Ses lèvres semblent molles, la lèvre inférieure, noire. Sur son menton sont tatoués d’étranges et sombres motifs. De longues boucles en pierre verte, du jade, sont suspendues à ses oreilles et un pendentif, un tiki, sans aucun doute, pend à son cou. Qui était elle ? Lui reviennent en mémoire les légendes lues et le coursier. D’où venait-il ? Soudain la fenêtre s’ouvre, poussée par un vent coulis qui fait gémir la pièce. Elle allait se lever quand un détail l’interpelle. Elle saisit, fiévreuse, le pendentif sur le bureau et le porte à hauteur de l’écran. Un tremblement la prend alors. La pièce, tout à coup, devient froide. L’évidence se fait d’elle-même : les deux tikis sont identiques. Cette femme et elle ont donc un lien ! -
Une étrange enveloppe
24 juillet 2012, par Maylis De KerangalSur le palier, un homme lui fait face, vêtu de noir, le blouson siglé du logo d’une entreprise de coursiers qu’elle ne connaissant pas, et coiffé d’un casque intégral qu’il n’a pas pris la peine de retirer. Elle se fige bras croisée : oui ? Le type articule quelque chose qu’elle n’entend pas tout en lui tendant une enveloppe de papier kraft. Elle grimace, pointe un index sur son oreille : oh hé, ça vous dérangerait d’enlever votre casque ? Le type s’exécute, glisse l’enveloppe entre ses genoux tandis qu’il ôte son casque, révélant un visage tatoué — un visage que le tatouage rendait indécelable. Bianca Fuoco ? Voix enterrée, fortement accentuée. La jeune femme, interdite, hoche la tête, alors reçoit l’enveloppe dans les bras mais, le temps de la retenir et d’y jeter un œil, ahurie, l’homme tourne les talons et dévale les escaliers.
La porte refermée, Bianca s’immobilise quelques secondes, haletante, main sur la clenche, tête penchée vers le chambranle, oreille tendue vers la cage d’escaliers quand ses yeux, eux, inspectent l’enveloppe — une poche épaisse, scellée par un ruban de Chatterton marron, et muette, aucune inscription, rien, pas même son nom, pas même le code de l’immeuble — puis, le bruit des pas s’amenuisant, elle se précipite à la fenêtre, colle son front contre la vitre, et sans savoir pourquoi, commence de guetter le coursier qui, logiquement, ressortirait de l’immeuble six étages plus bas, pour remonter sur sa bécane, et filer.
Elle patiente, piétine, c’est long, plus long qu’elle ne l’aurait pensé, l’enveloppe est serrée contre sa poitrine, le verre est glacé contre son visage et son angle de vue très aigu, mais elle attend, garde les yeux baissés sur la portion de rue que l’homme traversera pour atteindre son scooter, et, juste en face, il y a toujours cette corneille noire qui défile comme à la parade, levant haut les pattes comme un soldat lors de la relève de la garde à Buckingham Palace. Alors le coursier est apparu, les habits noirs, le casque intégral sur la tête mais les cheveux longs flottant dans son dos jusqu’aux reins, les semelles de ses baskets touchant à peine l’asphalte quand il franchit la chaussée, et une fois au pied de sa machine elle le voit qui zippe son blouson, enfile ses gants, se place sur la selle en un mouvement de voltige, souple, rapide, un félin, puis s’incline en avant pour démarrer le moteur, quand, alors que rien ne le laissait prévoir, il a subitement pivoté le buste, fait volte-face vers l’immeuble et renversé la tête en arrière, comme pour regarder à la fenêtre de son studio, surprise elle pousse un cri, se recule, finissant même par s’esquiver derrière le rideau, où retenant sa respiration, elle observe le coursier : il ne démarre pas mais continue de fixer sa fenêtre, comme s’il savait qu’elle était là, cachée, l’enveloppe de plus en plus comprimée contre son corps, puis brusquement, faisant vrombir son moteur, il se détourne, s’élance dans la rue qui résonne comme un défilé rocheux, et disparait. Alors, reprenant ses esprits, Bianca saisit les ciseaux sur l’étagère, et cœur battant à tout rompre, ouvre l’enveloppe.