Il est huit heures cinquante huit. Tu es perdue dans tes pensées. Tu es dans le bus qui t’amène jusqu’à la prison où est enfermé ton grand-père. Tu peines à croire que ta famille t’ait menti pendant si longtemps. Pourquoi t’ont-ils caché la vérité ? Avaient-ils honte, était-il un déshonneur pour ta famille si rangée ? Tu aurais tellement aimé avoir un grand-père différent de ton entourage. Quelqu’un qui sorte des codes trop nombreux du milieu bourgeois d’où tu viens. Quelqu’un à qui tu pourrais raconter sans retenue ton quotidien, tes musiques préférées. Tu te souviens de la voix tremblotante de ta mère lorsqu’elle parlait de son père qu’elle disait décédé. Quelle bonne actrice !
Un coup de frein trop brusque te sort de ce songe. Tu regardes autour de toi. Tu vois un sombre et long bâtiment. Une grande grille en garde l’accès fermé. Quelques gardes surveillent l’entrée. Le conducteur crie : « Carcere San Luis ». Tu descends, Léonard te suit, un gâteau à la main. Vous vous dirigez vers l’entrée. Un garde vous interpelle, il ne parle pas français mais vous fait comprendre que vous ne pouvez pas rentrer dans la prison du fait de votre jeune âge. Un second garde arrive à pas rapides, un bout de papier à la main. Il s’approche, il parle bien français, il vous donne le morceau de papier et vous explique que ton grand-père était au courant de ta venue. Tu t’empresses de l’ouvrir.
Tu descends de l’avion, tu es en France. Tu dépasses la porte du Terminal 3, tu sors par la grande porte vitrée de l’aéroport. Rapidement, Léonard décide d’appeler un taxi. Vous montez dans un de ces taxis noirs. Tu lui indiques l’adresse où tu souhaites te rendre, celle de l’antiquaire « 12 boulevard des colombes , VIII ème arrondissement, Paris ». Tu fais comprendre au chauffeur qu’il ne doit pas traîner.
Tu pousses la lourde porte en bois de la boutique. Sans mot dire, tu te diriges vers le tableau. Tu revois ce visage, celui de ta mère, et non de Lucrèce. D’un revers de la main, tu arraches la fine toile qui recouvre le tableau volé. Tu te retournes, l’antiquaire apparaît et t’empoigne le bras. Tu te débats, parviens à te libérer, tu saisis le tableau et avant même que l’antiquaire n’ait pu faire un mouvement, tu disparais par la porte. Tu cours dans la rue, Léonard te suit à grande peine. Tu attrapes le premier bus venu. Direction : le commissariat.
Tu te trouves face à un policier brun et robuste. Il te fait penser à ton père. Tu lui résumes la situation dans laquelle tu te trouves.
Aujourd’hui, tu as vingt ans, tu es à l’enterrement de ton grand-père. Tu repenses à cette mésaventure, lorsque tu étais au collège. Grâce à cette histoire, il a pu sortir de prison il y a tout juste cinq ans. Tu as pu profiter de sa présence pendant les dernières années de sa vie.
Tu as repris la boutique de l’antiquaire.