Son cœur bat fort, jamais elle n’a eu à prendre une décision aussi importante de sa vie. Le malaise qu’elle ressentait jusqu’à présent se dissipe, elle comprend enfin qu’elle peut changer les choses et que la rengaine que lui répète inlassablement sa mère « Tu verras, quand tu seras plus grande, ma fille... » peut appartenir au passé.
Mais par où commencer ? Où chercher ? Les idées se bousculent dans sa tête... Elle se concentre sur les maigres informations en sa possession et se dit très vite que seule, elle n’y parviendra pas, que la tâche est trop colossale !
Il lui faut, d’abord, trouver le moyen de s’extraire de ce placard dans lequel elle s’est réfugiée. Elle ne perçoit plus aucun bruit, le moment semble idéal. Elle sort délicatement du placard et s’avance, sur la pointe des pieds, dans le bureau, plongé dans l’obscurité, depuis que ses occupants en sont sortis. Cachée au détour d’un couloir, elle se saisit de son téléphone et se surprend, désespérée, à sélectionner un contact qu’elle ne pensait jamais utiliser, son professeur d’histoire. Elle lui avait transmis ses coordonnées il y a quelques semaines déjà, émue par la situation difficile dans laquelle Rose et sa famille se trouvaient plongées. Etonnée, elle-même, par sa propre détermination, Rose espère tomber sur la messagerie et, lorsqu’elle entend la voix familière de Mme Lebrun, elle comprend qu’elle ne peut plus reculer.
« Madame, je suis désolée de vous déranger aussi tardivement, mais je ne peux faire autrement..., chuchote-t-elle de peur d’être surprise par les gardiens.
– Rose, tu sais que je serai toujours là pour toi... Je ne te cache pas que ton appel m’inquiète un peu.. Mais, dis-moi, où te trouves-tu ? Je t’entends à peine...
– Madame, ce serait très long de tout vous expliquer... Pourriez-vous me retrouver ?
– Bien sûr.. précise-moi où tu te trouves, surtout, ne bouge pas, je te retrouve au plus vite ! »
Rose sent que Mme Lebrun cherche à se montrer particulièrement rassurante. Dans quelques minutes elle pourrait partager ce fardeau avec cette personne qui a pris de plus en plus de place dans son existence, un peu plus qu’un professeur, une personne sur qui compter...
Avec beaucoup d’appréhension, elle s’engage dans les longs couloirs du Musée, désertés en fin de journée, et elle accélère le pas en direction de la sortie. Elle ne veut qu’une chose, retrouver la lumière du jour.
Il ne faut pas longtemps pour qu’elle reconnaisse la longue silhouette de son professeur d’histoire, qui se dessine au loin. Elle se raccroche à elle et n’arrive pas à détacher son regard de ce point qui se rapproche à l’horizon. Quand elle se retrouve face à elle, elle ne peut réprimer l’élan qui la pousse à se réfugier dans les bras de son professeur. Des bras réconfortants après les terribles révélations dont elle a été le témoin dans le Musée.
« Tu me sembles bouleversée, Rose, que s’est-il passé ? »
Les idées s’entrechoquent dans l’esprit de Rose mais elle se reprend et commence le long récit des derniers événements qui ont, à jamais, bouleversé sa vie. Découvrir ce dont les adultes sont capables pour l’argent, en détournant des oeuvres d’art et, en particulier, le masque Mundurucu, reste une des plus grandes désillusions qu’elle a éprouvées.
Mme Lebrun reste sans voix, à son tour, elle cherche ses mots, après quelques minutes, elle s’adresse de sa voix calme et posée.
« Tu as eu raison de faire appel à moi, Rose, seule, tu aurais été confrontée à bien des dangers. C’est incroyable ce que tu as changé... La jeune élève, inquiète et hésitante, que j’ai accueillie, dans ma classe, en septembre dernier, a bien grandi. Ce dont tu as été témoin est un crime et le seul moyen pour nous d’y voir plus clair est de faire savoir tout cela à des personnes compétentes qui sauront exactement quoi faire. »
Rose refoule les larmes qui lui montent aux yeux. Elle qui était tellement démunie trouve, enfin, une épaule sur laquelle se reposer. Elle trouve le courage de formuler ces quelques mots dans un murmure.
« Merci... Mme Lebrun...
– Tu n’es pas seule, Rose, sois-en convaincue. »
Elles ne s’en sont pas rendues compte mais déjà les derniers rayons du soleil disparaissent à l’horizon. Rose se dit que cette ville, Marseille, saura toujours la consoler, dans les moments difficiles, lui donner un élan nouveau pour surmonter tous ses problèmes.
Toutes les deux s’engagent maintenant dans la rue sans un mot, comme si le spectacle de la ville les rassasiait, dans un doux silence, que ne parviennent même pas à rompre le bruit des voitures et les voix des derniers badauds qui traînent encore, profitant de la chaleur étouffée de la fin de journée.
Accueil > Collèges > 2015 > Histoire 4
Histoire 4
-
Ce que grandir veut dire...
27 janvier 2016, par Collège Colette, Collège Colette, Collège Colette -
4/ Mystère, mystère
15 décembre 2015, par Collège Georges Charpak, Collège Georges CharpakRose sûre d’elle, exige d’avoir des explications :
« Comment se fait-il que ce ne soit pas la tête Mundurucu, celle qui était exposée au musée de Marseille ? »
Le guide répond nerveusement :
« Voyons, Mademoiselle, pourquoi dîtes-vous cela ? Vous êtes au Louvre, toutes les œuvres exposées sont authentiques !
– Mais non je vous assure que c’est une copie rétorque Rose. Je m’en souviens très bien, j’allais souvent voir la tête, je connais ses moindres détails. »
Le guide perturbé, affirme tout en tirant les manches de sa chemise :
« Ecoutez, la qualité du verre qui protège la tête n’est pas la même et la luminosité de la salle de Marseille certainement différente ! »
Rose exaspérée s’insurge :
« Vous voyez les cordes qui sortent de la bouche sont plus épaisses, j’en suis sûre !
– Ne vous fiez pas à votre mémoire, vous avez la vraie tête sous les yeux, assure le guide se maîtrisant difficilement. »
Le guide fronce les sourcils, lui tourne le dos et quitte la salle.
« Merci quand même ! » réplique Rose.
La jeune fille se pose des questions, elle est sûre que ce n’est pas la vraie tête. Déçue, cherchant à tirer ses idées au clair, elle va s’asseoir sur l’un des bancs de la salle pour mieux réfléchir. Perdue dans ses pensées, elle est persuadée que c’est une contrefaçon ! Les larmes lui montent aux yeux : elle qui a passé des heures à l’admirer comment pourrait-elle se tromper, ne pas la reconnaître ? Rose ressent comme un vide. Triste, elle se dirige vers la sortie.
Seulement, le Louvre est un musée gigantesque et en sortir n’est pas aisé. Rose passe dans beaucoup de salles mais ne trouve pas son chemin. Elle pousse une énième porte, sans la regarder.
L’intérieur est sombre et seuls un bureau et une armoire se trouvent au centre de la pièce. La porte claque derrière elle. Rose tente de l’ouvrir, en vain. Elle est enfermée. Elle comprend alors qu’elle ne devrait pas être là et qu’elle aura de gros ennuis si jamais on l’aperçoit.
Puis, des bruits de pas se font entendre tandis que des bribes de conversation lui parviennent : « Rimbaud… Mundurucu »
Rose, prise de panique, se précipite dans l’armoire.
« Il faut absolument les retrouver, dit le premier homme. »
Il paraît énervé et inquiet.
« - Tous les gardiens de ce musée sont à leur recherche, le rassure le second. Mais je pense qu’on ferait mieux d’appeler la police. A l’heure qu’il est, « Le coin de table » et la tête ne doivent plus être à Paris.
– Si la presse venait à apprendre le vol, la réputation du musée serait ruinée. De plus, les autres musées ne voudront plus jamais nous prêter des œuvres. Ce serait une véritable catastrophe !
– Toutes les équipes sont sur le coup. Nous continuons nos recherches, M. le Conservateur.
– Alea Jacta Est…
Les deux hommes quittent la pièce. Rose sort de l’armoire et se précipite vers la porte, avant que celle-ci se referme. Traversant le musée, elle repense à la conversation qu’elle a surprise. Elle est dorénavant certaine que c’est une pâle copie de la tête qui est exposée et que la vraie a été volée.
La tristesse et le doute laissent place à la colère. Même le musée le plus populaire de France ne sait pas mettre en sécurité ses œuvres !
Alors, Rose prend la décision la plus folle et dangereuse de toute sa vie : retrouver elle-même la tête Mundurucu. -
Au Louvre
16 novembre 2015, par Collège Faubert, Collège Faubert« Maman ? dit Rose.
– Oui ?
– Je ne veux pas participer au déménagement, je veux aller à Paris voir tata.
– Pourquoi ?
– Parce-que je ne l’ai pas vue depuis longtemps.
– Non Rose, tu prends part au déménagement avec nous.
– Mais maman, je veux absolument voir la tête de Mundurucu au musée du Louvre ! ».Quelques jours plus tard, ayant obtenu gain de cause, Rose descend du train et reste bouche bée devant cette gare un peu spéciale : elle ressemble à une église avec de grandes structures métalliques, elle est très lumineuse avec ses brasseries.
Cette gare est située dans le 12ème arrondissement, Place Louis Armand.
En sortant de la gare, elle aperçoit des étrangers, des voitures, des musiciens, elle découvre la vie parisienne.Rose entra dans l’immeuble où habitait sa tante, il faisait un peu sombre. Rose savait que sa tante logeait au troisième étage. Sa tante ouvrit la porte et lui montra le chemin de sa future chambre. Rose voulait se rendre au musée du Louvre sur le champ, malgré la nuit tombée. Sa tante le lui interdit : il faudrait aller se coucher après cette rude journée.
Le lendemain, la tante de Rose décide de l’emmener dans le quartier de la tour Eiffel et du Trocadéro. Elles commencent par la tour Eiffel et voient des musiciens ainsi qu’un grand nombre de touristes. Rose réalise à quel point la tour Eiffel est beaucoup plus grande que dans ses photos. Stéphanie, la tante de Rose, décide de monter dans la tour Eiffel pour lui montrer l’intérieur. Rose trouve ça magnifique. Partout autour d’elle, se dressent des restaurants, des boutiques de souvenirs. Rose demande à sa tante si elles peuvent en acheter. Une fois que Rose a fait quelques emplettes, elles se dirigent vers le Trocadéro. Elles aperçoivent des parcs des deux côtés de l’avenue ainsi qu’une grande fontaine entre les deux parcs. Rose et sa tante s’approchent des vendeurs qui essayent de vendre des t-shirt « I love Paris ». Rose en choisit un.
Les deux filles vont alors jusqu’aux Champs Elysées. Pendant ce temps, sa tante lui explique d’où vient de nom de l’avenue, sa longueur de 1910 mètres… Elle lui présente les grands hôtels de la Place de la Concorde, et l’arc de triomphe, aussi haut qu’un immeuble, les réalisateurs qui les ont mis en scène, le chanteur Joe Dassin qui interprété Les Champs Élysées. Rose est captivée.
Sa tante la dépose ensuite Rue de Rivoli, à proximité du Louvre.
Elle entre dans la cour et fait la queue pour entrer dans la pyramide. Elle est surprise par cette admirable structure imposante.
A l’intérieur, elle voit d’énormes structures et des statues, et le toit en verre qui illumine le tout la fait frissonner.
Puis, elle regarde autour d’elle et fit signe à un guide. Il lui indique où elle trouvera la tête Mundurucu.Rose arrive devant la statue et voit un guide qui essaie d’expliquer à un groupe de visiteurs l’histoire de la tête de Mundurucu.
Elle s’approche encore pour profiter des explications mais elle s’étonne : la tête qui est exposée là n’est pas celle qui était à Marseille ! On dirait une mauvaise copie !
Elle va questionner le guide qui s’étonne de sa question et ne comprend pas qui est cette jeune fille. -
Journée noire
21 septembre 2015, par Collège de la Haute Azergues, Collège de la Haute Azergues, Collège de la Haute AzerguesRose rentre perdue dans ses pensées. Elle est déchirée parce qu’elle vient d’apprendre que la tête Mundurucu a été léguée en don au Louvres à Paris. Le gardien du musée qui lui a appris cette nouvelle ne semblait pas traumatisé par la disparition de cette oeuvre d’art. Mais pour Rose, c’est un signe du destin ! La tête déménage en même temps qu’elle ! Et, quitte à déménager, pourquoi ne pas aller à Paris ? Elle aimerait tant revoir ce masque, plonger dans ses yeux inertes et sans vie, imaginer la vie qu’il aurait pu avoir loin d’elle et de Marseille, dans son pays natal, dans les bras de son sculpteur...
Rose laisse ses pensées divaguer ça et là. C’est alors qu’elle perd l’équilibre et tombe de son skate juste devant son immeuble. Sa chute est violente et son engin volant vient cogner contre les sacs poubelles qui stagnent dans la rue, éclatant l’un d’eux.Camille, la voisine de Rose, une jeune veuve de 24 ans, sort de l’immeuble et découvre le carnage. Rose est à terre, le jean troué, des égratignures au genou, la queue de cheval en bataille et la mèche violette qui bat négligemment au vent. Elle est gênée qu’on la voie dans cet état, et cette blessure, tant à son orgueil qu’à ses articulations meurtries, la rend désagréable. C’est pourquoi elle envoie balader la pauvre Camille qui lui demande si elle ne s’est pas fait mal :
Lâche-moi. C’est bon, j’ai besoin de personne, surtout pas de toi, t’es toujours toute seule.
J’ai pas vraiment choisi. Mon mari est mort il y a deux ans. Je voulais juste t’aider.
Ah bon ! Désolée, je ne savais pas.
Et toi, tes amis ?
Bah, disons que des amis je n’en ai pas vraiment, je me sens seule la plupart du temps et, même dans le fond, je suis quelqu’un d’un peu solitaire.
Tu vois finalement, ça nous fait un point commun...
Il est mort comment ?
Il était militaire, il est mort au combat. Mon seul souvenir de lui aurait été notre appartement que nous avions acheté ensemble quand il a été muté ici et qu’on a quitté Calais. C’était le bon temps : on pensait pouvoir profiter de la mer, du soleil, on parlait même d’avoir un enfant. Seulement, la vie en a décidé autrement : il n’est plus là et ce foutu immeuble va être détruit.
Oui, moi aussi, ça me fout les boules. Nous aurions dû faire une pétition pour encourager les réparations plutôt que la destruction... Je file, je vais encore me faire engueuler par ma mère...
Bon courage. A bientôt.Rose rentre chez elle. Elle ouvre la porte quand sa mère lui dit :
C’est pas trop tôt ! T’as vu l’heure ? Tu viens d’où ?
Désolée, maman, j’étais avec la voisine.
Tu te fous de moi ? Toi ? Avec quelqu’un ? Tu es toujours toute seule ! Avec qui ? La voisine ? Celle du 1er ? La dépressive ? J’imagine d’ici votre conversation : ça devait être gai !
On a parlé du déménagment : elle non plus, elle ne veut pas partir.
Arrête avec ça ! Ce n’est pas toi qui décides de toutes façons. On partira, et tu le sais bien : l’immeuble va être rasé.A ces mots, c’en est trop pour Rose. Elle donne un coup de pied dans la chaise et soupire quand sa mère sort en claquant la porte. "Mes parents sont décidément de sales égoïstes, ils ne prennent jamais le temps de m’écouter, ils ne me demandent jamais comment ma journée s’est passée, ils ne se contentent que de me demander de faire le repas et de m’occuper de mon petit frère. Je suis transparente, inexistante, invisible. Je ne suis qu’une ombre au tableau idyllique qu’est pour eux ce misérable déménagement. Je sers de bonne, de nourrice, de servante, d’esclave, je ne trouve décidément pas ma place dans cette famille qui n’en est pas une pour moi. Je voudrais partir, goûter à la liberté totale dont je rêve. J’irai rejoindre cette tête Mundurucu que je chéris tant..."
Pour un peu, Rose envisagerait de fuguer mais les pleurs de son petit frère dans sa chambre la ramènent à la réalité. Elle se précipite pour le rejoindre et le consoler. Elle lui promet que tout ira bien et commence à préparer le repas. Rose est comme une deuxième mère pour lui : ses parents ne sont jamais là et sa grande soeur est à l’internat. Après avoir mangé, elle file dans sa chambre et prépare son sac pour le lendemain. Elle lit une histoire à son frère, lui chantonne une berceuse, le borde et il s’endort enfin, épuisé. Elle retourne dans son lit sans bruit. Elle ne sait pas quand rentreront ses parents, ni dans quelle humeur ils se trouveront : sa mère est partie furieuse et son père est toujours sur les nerfs quand il rentre du boulot. Elle éteint la lumière et écoute sa musique préférée en se rappelant sa rencontre avec Camille plus tôt dans la journée.
-
Quitter le panier
21 septembre 2015, par Joy SormanLe quartier est en rénovation depuis plusieurs années, ses bâtiments vétustes, rongés par le salpêtre, souvent habités par des familles modestes ou pauvres, sont peu à peu réhabilités, et c’est au tour de l’immeuble de Rose. Sa famille vit à 5 dans 45m2, les infiltrations d’eau dans les murs font cloquer la peinture, le parquet gondole, quelques cafards courent le long du tuyau de la gazinière, la douche, couverte de moisissures, fuit en permanence, les murs sont si fins que le moindre bruit les traverse, les fenêtres ferment mal et un carreau cassé a été remplacé par un morceau de bâche bleue, les boîtes aux lettres n’ont plus de serrures, le digicode est en panne, de drôles d’odeurs acides montent des caves, piquent les yeux, irritent la gorge, une fois Rose a même croisé un rat dans l’escalier, et son petit frère Max est souvent malade à cause des courants d’air, de l’humidité ; pourtant Rose aime son immeuble, l’ambiance conviviale qui y règne, la solidarité entre les habitants, le beau célibataire corse du rez-de-chaussée, la famille nombreuse du deuxième étage, l’étudiante marocaine du troisième, le couple turque du dernier étage, et la vieille dame du Pas-de-Calais venue à Marseille à la mort de son mari pour finir ses jours au soleil.
C’est comme si Rose ne voyait que les bonnes choses, la part solaire et heureuse de l’existence, comme si elle restait étanche à cet environnement hostile et insalubre. A ses yeux, la vie en communauté, fraternelle, gaie, compense largement les difficiles conditions de vie, et puis elle est habituée, elle a toujours vécu là, entre ces murs écaillés, elle ne connaît rien d’autre - et une grande part de sa vie se joue aussi au dehors, dans les rues étroites du Panier, sur le Vieux Port, au collège Jean-Claude Izzo, dans les calanques, et au musée. Bien sûr quand ses parents lui disent c’est dangereux ici, c’est épuisant, et puis tu ne voudrais pas avoir une chambre rien qu’à toi ?, Rose sait bien que le plus raisonnable est de partir avant que le toit ne s’effondre sur leurs têtes. Mais le jour où l’assistante sociale chargée de leur relogement débarque à l’heure du café pour annoncer la grande nouvelle, Rose ne peut réprimer un violent pincement au cœur.
Sa mère, qui vend des vêtements sur les marchés, et son père, couvreur-zingueur intérimaire, travaillent tous les deux au grand air et par tous les temps, sur les places venteuses des villages autour de Marseille, sur des chantiers en hauteur ; ils aiment leur métier mais en vivent difficilement, ont besoin de quiétude et d’un peu de confort quand ils ont passé une journée sous la pluie et dans le mistral. Ce nouvel appartement est un soulagement, un nouveau départ, une trouée heureuse dans une existence rude.
L’assistante sociale est venue avec tous les papiers à signer, le bail et le contrat EDF, des photos du nouveau logement, et même un trousseau de clés. C’est dans le quartier Saint-Just, loin du Port, loin de la Vieille Charité, un immeuble flambant neuf, à la façade couleur crème, aux balcons fleuris, aux grandes baies vitrées, moderne, fonctionnel, confortable, un plateau de 80m2 avec 3 chambres et une cuisine américaine. Rose connaît ce quartier excentré de Marseille, elle y est allée une fois, pour l’anniversaire d’une cousine, elle avait trouvé ça morne, trop calme – et Saint-Just est si loin de la tête Mundurucu.Il lui reste un mois à vivre rue de Beauregard et Rose veut organiser un grand banquet d’adieux, adieux qu’elle espère provisoires, une fête à tous les étages, qui déborde sur le trottoir, avec une fanfare, de la sangria, une pièce montée, et des guirlandes lumineuses sur la façade décrépie. Elle a appris que tous les habitants seraient relogés, dispersés dans la ville, que l’immeuble serait bientôt détruit et un nouveau bâtiment construit à la place, une petite résidence sociale avec des panneaux solaires sur le toit et un local à vélos – elle se dit qu’ils pourront peut-être revenir une fois les travaux achevés, réintégrer les lieux, exercer une sorte de droit au retour, car c’est ici chez eux.