Dix ans plus tard.
Dès que l’alarme retentit, Salomé se réveilla en sursaut. Elle devait être rapide, s’habiller en quelques minutes et partir le plus vite possible. Elle emmena avec elle une barre de céréales, la faim pouvait lui être fatale. Ce n’était pas la première fois, elle savait quoi faire dans ces moments-là. Elle entendit des pas dans l’allée centrale ; ses camarades étaient déjà prêts. Elle courut les rejoindre sous l’œil mauvais de son supérieur : « Ceci n’est pas un exercice, un retard n’est pas tolérable . Chacun à son poste ! »
Salomé avait l’habitude. Ça faisait trois ans qu’elle était engagée dans l’armée française.
Mais aujourd’hui, c’était différent. Son unité était depuis trois mois en Centrafrique, aux frontières de son pays natal. C’était certainement la mission de sa vie. Aider des frères.
Après le départ d’Abel pour l’UPC, Salomé se souvint qu’elle ne savait plus quoi faire. En grandissant, elle avait compris beaucoup de choses, dont les enjeux de ce soulèvement. Elle avait compris sans qu’on le lui explique ce qui se passait dans ce pays où elle allait intervenir. Elle avait compris toutes les injustices, dues à de simples origines, à des coutumes archaïques et à tant de mensonges... Elle se sentait concernée et prête maintenant à faire quelque chose d’utile dans cette région du monde qu’elle avait quittée à la suite de ces troubles tragiques.
Elle se remémora les circonstances de son départ.
Un mois après le départ d’Abel et Mafé, Salomé n’avait toujours pas eu de nouvelles d’eux. Mais un matin , alors qu’elle partait à l’école, elle avait récupéré le courrier dans la boîte aux lettres, elle avait trouvé une lettre de l’UPC. Malheureusement, elle n’avait pas eu le temps de l’ouvrir, et elle était partie à l’école en courant, bouleversée.
Elle était allée trouver son professeur d’histoire et elle lui avait demandé ce que la réception d’une lettre de l’UPC signifiait. Il lui avait répondu que cela pouvait avoir deux significations : soit c’était une convocation pour partir à la guerre avec les résistants, soit une annonce de décès du proche parti combattre. Elle était restée tremblante jusqu’au soir où elle avait enfin pu ouvrir la lettre. Elle avait appris qu’Abel était parti pendant la nuit avec ses compagnons. Elle avait été atterrée pendant un instant, puis s’était dit que c’était mieux ainsi, pour lui et pour les autres. Elle savait que Mafé prendrait soin de lui.Ils étaient partis en s’unissant avec les manifestants des droits des Noirs, ils allaient poursuivre leur rêve fou à Paris, Londres, Madrid, Barcelone, Vienne. Ils allaient rejoindre d’autres militants à un congrès pour continuer le combat.
Cette cause était importante et si le sentiment d’abandon était d’abord plus fort, elle avait compris qu’il fallait combattre et que la cause de ses cousins était juste. Ils lui avaient dit :
« Chaque seconde, chaque mot me rappelle qu’ un jour mes parents, mes ancêtres étaient des esclaves, des Hommes privés de leur liberté, de leur droit d’être qui ils sont et non de suivre le rythme de ceux qui retiennent leur chaîne, c’est pour ça que nous voulons savoir, partir et nous battre pour la liberté », en arrachant le bracelet qu’on leur avait donné , pour prouver qu’ils n’appartenaient à personne.
L’engagement de son cousin lui avait montré la voie. Peu de temps après la réception de ce courrier, ses parent l’avaient envoyée faire des études en France.
Elle vérifia son équipement et rejoignit son poste.