Les jeunes filles plongèrent dans un profond sommeil.
Une douleur abominable tira finalement Séphora de sa torpeur. Elle se mit à penser. Salomé était là, près d’elle. Sa sœur. Sa sœur de sang. Elles avaient réussi à aller si loin ! Que de kilomètres parcourus du fin fond de la brousse camerounaise à l’Espagne ! Et cette femme. Ses mots. « dos chicas de donde vienen ! ». Salomé avait tout de suite compris. Du moins c’est ce qu’elle croyait. Les idées défilaient dans sa tête à présent. Le scenario le plus logique était le suivant : après avoir abandonné sa famille, leur père avait fui le Cameroun pour s’installer en Espagne. Là-bas, il avait refait sa vie, changé d’identité, s’était remarié et avait fondé une famille. Il les avait oubliées… Comme pour chasser ses idées noires, Séphora sombra dans l’inconscience.
Le lendemain, les deux adolescentes se réveillèrent péniblement. On les avait enfermées dans une des cales du bateau. Cela devait bien faire six jours qu’elles voyageaient clandestinement.
On les débarqua à Cadix sans autre explication. Il était clair que la police avait préféré étouffer l’affaire par peur des représailles. Une fois libres, les deux adolescentes furent déboussolées. Elles ne surent pas vraiment quoi faire, par quoi commencer. Où aller ? A qui s’adresser ? Tout ce qu’elles connaissaient concernant leur père était son nom. Le seul objet qu’elles possédaient était cette photo en noir et blanc jaunies par les années ! Salman Assani. L’homme était souriant sur la photo.
Les deux jeunes filles marchèrent longtemps. Elles admirèrent Cadix, une ville magnifique qui ne ressemblait à rien de ce qu’elles connaissaient.
Les filles décidèrent de passer à l’action. Elles pénétrèrent dans un bureau de tabac en quête d’informations. On leur donna un bottin où figurait l’adresse de la mairie. ; elles s’y dirigèrent, pleine d’espoir. Le bâtiment était désert. Salomé parla la première. Elle expliqua les raisons de leur venue. Heureusement qu’elle avait appris quelques mots d’espagnol à l’école ! L’employée tapota sur son clavier. Après quelques instants, gênée, elle lui tendit un papier avec une adresse. Salomé la remercia, Séphora fit de même.
Séphora arrêtait les passants et les questionnait. « A la derecha », « A la izquierda » lui répondait-on inlassablement. Le jour commençait à pâlir. Après plusieurs heures de marche, les jeunes fugueuses tombèrent finalement devant les grilles d’un cimetière.
– Euh… Pourquoi se retrouve-t-on ici ? questionna Séphora.
– Je ne sais pas, peut-être qu’il travaille ici ! Viens, on entre !
C’était un cimetière ordinaire. Des rangées de pierres tombales s’alignaient le long des allées, certaines bien soignées, d’autres laissées à l’abandon. Un homme entretenait les allées, arrosant quelques massifs asséchés.
– Viens ! Allons le questionner ! Lui, il saura !
Déterminées, les jeunes filles se dirigèrent vers l’homme. La pénombre cachait son visage vieilli par les années. Salomé tira de sa poche les documents et lui montra le nom de son père et la photo. Le vieillard examina la photographie. Puis il releva la tête et fixa les deux adolescentes un bref instant. D’un pas résigné, il se dirigea vers une pierre tombale.
– Aqui !
Salomé et Séphora ne comprirent pas immédiatement. Elles s’avancèrent dans la pénombre à présent éclairée par les faibles rayons lunaires. Elles se penchèrent et lurent l’inscription gravée dans la pierre :
Salman Assani, 1969-2003
« Je n’ai pu accepter ma vie sans elles. »
Les filles restèrent paralysées, pâles comme la mort. Elles avaient retrouvé leur père.