De l’ombre à la lumière
Bianca prit la route avec bonheur. Retrouver son frère un jeudi lui plaisait.
Ils avaient convenu de ce rendez vous plusieurs mois à l’avance car la grotte n’était pas ouverte toute l’année. Le soir ils iraient dormir au mas Souberan, ce serait en quelque sorte le clou du spectacle ! C’est à ce moment là probablement qu’elle lui raconterait son secret.Celui qui était devenu une évidence après la lecture du livre qu’il lui avait offert.
Redécouvrir cette grotte avec leurs yeux d’adultes présentait un intérêt particulier : allaient-ils ressentir la même joie mêlée d’inquiétude ? Elle se souvenait de cette matinée si chaude au milieu du mois de juillet, ils avaient dix ans ou bien douze. Leurs parents avaient choisi cette halte alors qu’ils allaient en direction de Florac. Le plaisir était au rendez vous. Profiter de la fraîcheur enveloppante de la grotte fut un véritable ravissement. Son frère était resté silencieux durant toute l’heure de cette visite si surprenante.
Le contraste avec la lumière extérieure du plein été et l’obscurité relative de la grotte avait donné un côté surnaturel à leur déambulation. C’était forcément là que pouvait se produire une apparition. Bianca aurait pu voir surgir des fées des eaux bleues du lac de minuit et les soldats des concrétions semblaient encore plus nombreux que les marches à descendre et à remonter. Elle avait d’abord décider de les compter mais elle s’était lassée. Le décor qui l’entourait avait pris le dessus. Des couleurs sombres surtout mais aussi des verts émeraudes et des bruits d’eau et de cascade. Ce monde souterrain était vraiment surprenant.
Imaginer l’occupation de cet espace quelques milliers d’années plus tôt ne s’était pas imposé à elle cette année là.
Elle se souvenait parfaitement bien du sentiment éprouvé à la sortie de la grotte : l’air chaud qui lui séchait la peau , la lumière si forte qu’elle avait dû se protéger les yeux. Un sentiment de bonheur absolu : vivre à l’air libre, quelle chance !
Elle regardait sa montre,le timing était respecté : Bianca voulait absolument arriver à l’entrée de la grotte la première,après tout elle était l’aînée ! Ce jeudi 10 à 10 heures,son frère était bien en train d’avancer vers elle. Ils ne s’étaient pas vus depuis deux ans mais tout semblait dire qu’ils s’étaient embrassés la veille. Deux baisers rapides,deux joues à peine effleurées et les voici se dirigeant avec empressement vers l’entrée de la grotte.
Son frère lui demanda alors : « à ton avis pourquoi ai- je choisi de devenir spéléologue ? La découverte d’une grotte a -t -elle pu faire naître en moi ce désir ? Peut on expliquer aussi clairement ce choix ? »
Bianca avait toujours pensé que son frère préférait l’ombre à la lumière et que son goût immodéré pour les entrailles de la terre venait sans doute de son intérêt prononcé pour les choses cachées. Celles qui ne s’exposent pas mais que l’on peut explorer .
« Et si tout à coup nous nous retrouvions dans le noir ? Obligés de tâtonner pour avancer,utilisant nos pieds pour sentir la matière du sol,agitant nos bras pour pressentir les parois ? »
Bianca avait avec elle un exemplaire de la lampe de poche dont elle était en train de traduire le mode d’emploi,était ce le hasard ou voulait-elle jouer d’une manière ou d’une autre son rôle d’aînée et protéger son frère ? Cette petite boite de lumière était leur fil d’Ariane ; son frère ne cessait d’acheter des lampes frontales indispensables à son travail.
Voir toujours plus clair ,toujours mieux ,en vérité mais pas jusqu’à l’aveuglement . Se frayer un chemin dans l’obscurité,en délimiter les contours et avancer sans s’inquiéter vraiment vers son but .
Tout d’un coup cela devenait une évidence : leur présence dans cette grotte ne tenait pas seulement à la beauté et l’étrangeté du lieu. Avant de franchir la sortie, ils réaliseraient que ce cheminement fait ensemble était à l’image de leur existence.
Dans ses traductions Bianca se promène et avance,tout comme son frère dans les failles qu’il explore. Leurs vies se ressemblent.
Ce jeu dit, tout devenait plus léger.
Ce je dis, la lumière était faite sur leur vie.
C’était l’heure d’aller déjeuner, rejoindre le mas prendrait bien dix minutes.
Ils parleraient peut être.