A compléter
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Ze histoire 13
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Chapitre 4
15 février 2013, par Patrick VINCENT -
Chapitre 3 une rencontre improbable
13 décembre 2012Chapitre 3
Comment commencer la conversation ? Allait elle lui dire dès les premiers instants que ce visage ne lui était pas inconnu ? Ou au contraire, devait elle faire sa connaissance sans apriori ? Faire juste comme si c’était le hasard , se découvrir peu à peu, s’apprivoiser comme nous l’a appris le petit prince. Oui prendre son temps, ne rien précipiter, s’observer calmement avec des yeux immenses, l’esprit en éveil nourrit de tolérance. Il le fallait en effet . C’était même probablement la seule et l’unique manière de faire. Comment pourrait elle lui expliquer calmement tout cette histoire incroyable ?
Partie d’une île voisine sur un radeau de fortune, elle l’avait rencontrée en abordant la grande plage de sable gris couverte d’algues brunes et odorantes. A l’époque ce jeune enfant né à Curpipe s’était littéralement jeté dans ses bras : un visage souriant, des bras tendus largement ouverts promettaient
un de ces instants délicieux de bonheur. Se souviendrait -elle de son odeur , de la douceur de sa peau à la texture si particulière et pourtant indescriptible ? Elles étaient perdues au milieu de l’océan indien, livrées à elles même. Heureuses de pouvoir se serrer, de se protéger mutuellement et affectueusement. Elles avaient recherché un emplacement un peu protégé des vents, creusé le sable pour s’y blottir. C’est à ce moment là qu’un étrange objet presque étincellent s’était révélé à elles.
Une sorte de lampe qui rappelait bien sûr celle des légendes. Pas moyen de l’utiliser pour sa fonction première : pas de combustible, pas d’allumettes non plus.Cet objet pourtant inutile les rassurait puisqu’il laissait penser à une présence humaine sur ce territoire inconnu.
Bianca pensait à son frère qui voulait toujours échapper au quotidien et qui choisissait régulièrement de disparaitre dans toutes sortes de failles.
Le danger motivait sans doute sa démarche.
Après tout il avait sans doute raison : pourquoi vouloir toujours échapper au gouffre, à la béance, au vide ? S’y précipiter avec douceur et méthode devait conforter en lui l’idée que tout est possible si nous le décidons. Pouvoir de la pensée sur le corps ou toute puissance du corps sur notre esprit ?
L’essentiel était d’y parvenir. Trouver en soi la force nécessaire et le faire.
Cette nuit là, elle l’ avait passée blottie contre cet enfant sans savoir qu’il s’agissait en fait de sa propre fille.
Dix ans plus tard les voici à nouveau réunies sur un paquebot de luxe prêt à lever l’encre, pour Bianca se reconnaitre était une évidence mais la petite fille devenue grande n’avait ,elle , bien sûr, aucune raison d’en faire de même. Souhaiterait elle se souvenir de cette étrange aventure qu’elles avaient partagée et qui les habitait forcément ?Aujourd’hui allait elle accepter de se souvenir du souffle tiède de Bianca dans ses mains glacées par la peur ? Ou préfèrerait elle poursuivre sa route, fière, ne souhaitant pas se retourner sur cette période plutôt étonnante de sa vie. La sirène du bateau hurlait doucement, était ce une plainte, un murmure, un cri à l’image de cette rencontre improbable et inattendue.
Bianca se ressaisit. Après quelques respirations lentes et profondes, elle choisit de faire disparaitre toute expression d’étonnement. -
2/ Je ne parle pas créole
3 décembre 2012, par Christophe MonnetLe bruit de la rue a maintenant complètement laissé place à ceux plus feutrés du studio aux fenêtres fermées. Les ciseaux lacèrent le rabat renforcé de l’enveloppe. Tout en s’activant Bianca se dirige derrière son bureau et s’assied, terminant d’ouvrir le pli assise dans sa chaise de sky montée sur roulettes. Le dos calé et les avants bras posés sur les accoudoirs, elle a poussé son ordinateur pour faire place au contenu qu’elle découvre et organise devant elle. Une feuille de plastique à bulles qu’elle plie en boule et laisse tomber sur le côté découvre une boite en carton blanc et un fascicule broché qui ressemble à une notice d’emploi. Une enveloppe bleue AIR mail en complète le contenu.
La jeune fille reconnait sur le timbre une feuille de Flamboyant et le tampon de la poste de Maurice, la lettre a été expédiée de Rodrigues, ouverte et refermée, puis glissée dans la grande enveloppe. A l’intérieur il y a une photo, petit tirage noir et blanc aux bords canelés. Une famille prend la pose, un homme blanc debout en costume simple de coton blanc, chemise boutonnée, visage jeune et cultivé et une métisse assise sur une chaise de photographe, elle aussi vêtue de blanc, jolie, une robe simple, d’été, et une boucle d’oreille qui ressemble à une perle sur la partie de son visage que laisse entrevoir de longs et noirs cheveux lisses. Devant le couple une petite fille qui doit avoir 6 ans est assise sur un coussin et joue avec un clown de bois en regardant l’objectif et en souriant de toutes ses dents blanches. Elle ressemble à ses parents et a la peau plus blanche encore que celle de son père.
En approchant l’image de son visage, Bianca découvre un tatouage sur le bras droit de l’homme, qui se perd sous la manche de sa chemise et semble lui envelopper le cou sous l’étoffe semi transparente. Elle repose la photo et sort une cigarette de son paquet, qu’elle allume avant de retirer la lettre écrite à la main du papier avion.
Du créole ! soupire la jeune fille avant de reposer le courrier. Elle décide de commencer par ouvrir le paquet.
Le guide qui l’accompagne fait mention d’une lampe du même type que celle dont Bianca est train de traduire la notice. A tel point qu’elle se pose à présent la question de la présence de la petite lettre bleue. Si l’éditrice lui fait parvenir la lampe, afin qu’elle se confronte au design de la petite chose technique qu’elle documente, pourquoi l’avoir accompagnée d’un courrier en créole et d’une photo de famille ? Tout cela ne colle pas, ce n’est pas son genre de toutes façons de se préoccuper du fait que Bianca appréhende ou non ce qu’elle traduit.
Elle retire l’objet lourd, sous blister, de sa boite. Le débarrasse de l’emballage et le pose devant elle. Bianca n’a jamais rien vu de semblable, cela ressemble à une lampe frontale mais son poids, la qualité de son dessin et de sa finition en font comme un objet précieux. A de nombreux détails on peut voir qu’il s’agit probablement d’un objet unique, d’un prototype.
Le guide qui l’accompagne est écrit en anglais, lui aussi semble être un exemplaire unique ou tout au moins artisanal bien que mis en page et intelligemment illustré. On y voit le visage stylisé d’un mineur équipé de la lampe, puis diverses gravures le représentant dans les postures les plus improbables, éclairant des galeries comme en plein jour, semblant pouvoir traverser les cloisons de roche à l’aide de sa frontale. La lampe n’est pas à Led, il est question d’électrodes.
Bianca balaye de la main une cendre tombée sur le bureau et repose la lampe lentement pour se saisir de la lettre. Son geste est interrompu par la sonnerie du téléphone, posé quelques centimètres au delà du fourbi qui encombre à présent son poste de travail.
L’appel n’est pas caché, l’avatar Facebook de son frère apparait sur l’écran du mobile, son casque de spéléo jaune sur la tête. Allo Bianca, ne parle pas, je n’ai plus de batterie, je suis sur la paroi ouest du bois de Payolive, au sud des Vans, on bivouac depuis mardi, je voulais juste te dire... j’ai trouvé la femme de ma vie... je suis heureux. et toi ça va ? La jeune fille qui a reconnu la voix de son frère s’apprête à répondre mais le signal est coupé aussi sec. Ce n’est pas la première fois, il l’appelle souvent lorsqu’il est en course pour partager un paysage, une sensation, avant de rejoindre son Van ou de disparaitre durant des semaines. Bianca est heureuse et frustrée à la fois, elle aurait aimé lui répondre, lui signifier qu’il comptait aussi pour elle. Et puis qui était cette femme enfin ?
Elle repose le portable et déplie la lettre, qui débute par ces mots : bonjour, mo apelle Charles, mo kité Curepipe pour Rodrigues. Mo pé zis guétté ene personne who help me for the lamp... La jeune fille s’interrompt immédiatement.
Allons bon, les spams arrivent par courrier maintenant, je vais devoir faire transiter un million de roupies sur mon compte pour le fils d’un diplomate mourant, c’est bien ma veine, pense-t-elle.
Le courrier se poursuit dans cet étonnant sabir, étrangement signé Désirée, et non pas Charles, comme si ce dernier avait chargé une créole de transmettre son message, qui disait en substance, j’ai fait une découverte, faites tout ce qui est en votre pouvoir pour la publier, on cherche à me nuire, mes ennemis sont vos amis, mais je n’ai que vous.
Il est clair que cette lettre ne m’est pas destinée se dit Bianca, et elle saisit le téléphone pour composer le numéro de son éditrice.
La secrétaire de l’agence lui répond, un hoquet dans la voix, je voudrais parler à Germaine Tiron, de la part de Bianca, la traductrice. Ah madame, ce ne sera pas possible, Madame Tiron a été agressée ce matin par deux hommes, nous sommes ici avec la police. C’est grave ? Madame Tiron est dans la coma, on vient de la transporter à la Salpétrière. Un homme s’est présenté à l’agence et s’est entretenu avec elle durant une demi heure, puis nous avons entendu des bruits et nous avons retrouvé madame Tiron étendue sur la moquette de son bureau, l’homme avait disparu par la fenêtre, au 15e étage, rendez vous compte. Avait il rendez-vous ? Oui, un certain Monsieur Sadoyan, probablement un faux nom, qui devait la voir au sujet du contrat Pelz.
Je vous rappellerai pour prendre des nouvelles, au revoir mademoiselle.
La jeune fille écarte doucement les objets posés devant elle et passe son index sur le pad de son ordinateur, ce qui a pour effet de le faire immédiatement sortir de son état de veille. l’écran affiche la liste des mails reçus, la synchronisation est active, mais aucun nouveau message ne s’affiche en surbrillance dans la liste.
Bianca se lève pour se diriger vers la cuisine, il est pas loin de 20h, il fait nuit, c’est trop tard pour se faire un thé, ce sera un verre de vin blanc se dit elle en s’approchant du réfrigérateur. La sonnette de l’allée retentit.
La jeune fille s’approche de l’entrée du studio, décroche le combiné de l’interphone, Qui est-ce ? Je m’appelle Brigitte, je suis une amie de votre frère, j’aimerais vous parler, c’est important.
Elle actionne le portier, la mention de son frère ayant agit comme un sésame infaillible.
Trois minutes plus tard la porte de l’ascenseur s’ouvre dans le couloir du 6e étage, Bianca est sortie sur le pas de sa porte, une femme sort de la cabine et va à sa rencontre, un sac de sport à la main. Elle lui sourit, c’est la petite fille de la carte postale. -
Une étrange enveloppe
28 novembre 2012, par Maylis De KerangalSur le palier, un homme lui fait face, vêtu de noir, le blouson siglé du logo d’une entreprise de coursiers qu’elle ne connaissant pas, et coiffé d’un casque intégral qu’il n’a pas pris la peine de retirer. Elle se fige bras croisée : oui ? Le type articule quelque chose qu’elle n’entend pas tout en lui tendant une enveloppe de papier kraft. Elle grimace, pointe un index sur son oreille : oh hé, ça vous dérangerait d’enlever votre casque ? Le type s’exécute, glisse l’enveloppe entre ses genoux tandis qu’il ôte son casque, révélant un visage tatoué — un visage que le tatouage rendait indécelable. Bianca Fuoco ? Voix enterrée, fortement accentuée. La jeune femme, interdite, hoche la tête, alors reçoit l’enveloppe dans les bras mais, le temps de la retenir et d’y jeter un œil, ahurie, l’homme tourne les talons et dévale les escaliers.
La porte refermée, Bianca s’immobilise quelques secondes, haletante, main sur la clenche, tête penchée vers le chambranle, oreille tendue vers la cage d’escaliers quand ses yeux, eux, inspectent l’enveloppe — une poche épaisse, scellée par un ruban de Chatterton marron, et muette, aucune inscription, rien, pas même son nom, pas même le code de l’immeuble — puis, le bruit des pas s’amenuisant, elle se précipite à la fenêtre, colle son front contre la vitre, et sans savoir pourquoi, commence de guetter le coursier qui, logiquement, ressortirait de l’immeuble six étages plus bas, pour remonter sur sa bécane, et filer.
Elle patiente, piétine, c’est long, plus long qu’elle ne l’aurait pensé, l’enveloppe est serrée contre sa poitrine, le verre est glacé contre son visage et son angle de vue très aigu, mais elle attend, garde les yeux baissés sur la portion de rue que l’homme traversera pour atteindre son scooter, et, juste en face, il y a toujours cette corneille noire qui défile comme à la parade, levant haut les pattes comme un soldat lors de la relève de la garde à Buckingham Palace. Alors le coursier est apparu, les habits noirs, le casque intégral sur la tête mais les cheveux longs flottant dans son dos jusqu’aux reins, les semelles de ses baskets touchant à peine l’asphalte quand il franchit la chaussée, et une fois au pied de sa machine elle le voit qui zippe son blouson, enfile ses gants, se place sur la selle en un mouvement de voltige, souple, rapide, un félin, puis s’incline en avant pour démarrer le moteur, quand, alors que rien ne le laissait prévoir, il a subitement pivoté le buste, fait volte-face vers l’immeuble et renversé la tête en arrière, comme pour regarder à la fenêtre de son studio, surprise elle pousse un cri, se recule, finissant même par s’esquiver derrière le rideau, où retenant sa respiration, elle observe le coursier : il ne démarre pas mais continue de fixer sa fenêtre, comme s’il savait qu’elle était là, cachée, l’enveloppe de plus en plus comprimée contre son corps, puis brusquement, faisant vrombir son moteur, il se détourne, s’élance dans la rue qui résonne comme un défilé rocheux, et disparait. Alors, reprenant ses esprits, Bianca saisit les ciseaux sur l’étagère, et cœur battant à tout rompre, ouvre l’enveloppe.