A compléter
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Ze histoire 12
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Chapitre 4
15 février 2013, par Christophe Monnet -
L’écorce et le noyau
13 décembre 2012, par Isabelle VIO / Nicolas Bernard, Nicolas BernardL’écorce et le noyau
Bianca n’avait pas revu son frère depuis plusieurs mois. Elle, rêvant de lumières parisiennes, de s’exposer à la vie, tandis que Lucas préférait, encore et toujours, évoluer dans l’ombre du monde.
Elle le voyait peu ces dernières années, tout comme le reste de sa famille, éparpillé, égaré même pour certains.
Elle échangeait cependant parfois avec son frère, des textos qui, malgré les distances leur permettaient de continuer à bien « s’entendre », à faire coïncider leur voix, de manière virtuelle, certes, mais qui prolongeait le lien.
Quand elle pensait à lui, elle pensait à ses mains. Premier outil de l’homme, encore essentiel pour Lucas, lorsqu’il s’agissait d’avancer à tâtons dans le boyau étroit d’une grotte, ou même de communiquer. Elle qui aimait tant les intonations des différentes langues apprises au fil des années, elle qui rêvait parfois en anglais, et qui passait d’une langue à l’autre avec une facilité et une aisance déconcertantes, elle restait émerveillée par le pouvoir évocateur de la langue des signes, par ce jeu de mains agiles, agitées, qui semblaient à chaque fois créer devant ses yeux et donner vie au monde, l’incarner dans tout ce qu’il peut avoir habituellement d’abstrait. La beauté des gestes, qui fendaient l’air, la poésie aussi, voilà ce qui l’avait amusée, lorsqu’elle avait appris avec Lucas ce nouveau langage. A l’époque, elle ne savait pas que son frère arrêterait soudain de prononcer le moindre son, se renfermant dans le silence comme on avance dans une rivière, tout habillé, paré presque, la démarche assurée, les cailloux dans les poches, et qu’on se noie.
D’après son dernier message, il avait d’ailleurs l’air d’être tombé dans le trente-sixième dessous, perdu dans une cavité en Ardèche, projet autour duquel il avait fondé tant d’espoir de découvertes, et qui finalement ne lui révélait rien.
Sors de ton trou, come on l’homme des ombres chinoises, d surprises t’attendent pour t 30 ans à Pariggi lol
Elle avait le texto spontané et alerte, et puis tant de surprises pour son frère, entre l’édition du livre de Jules Verne qu’elle lui réservait et cette énigme qui semblait concerner son frère, même bateau, même galère ?
Elle eut une réponse à l’aube, Lucas était dans le train, le Cévenol, et pour une fois, était impatient de voir Paris ; il semblait avoir une annonce capitale à lui faire, mentionnait lui aussi un certain Félix et une grotte au Portugal. Les lampes torches dont elle remettait chaque jour la traduction de la notice lui seraient peut être utiles ! -
Chapitre 2
29 octobre 2012, par Yves-Armel MARTINLe contenu était bien tassé dans l’enveloppe blanche. Difficilement, Bianca en extraie ce qui semble une grande feuille repliée sur elle-même. On était loin du format des notices ou des ouvrages techniques que ses clients lui envoyaient habituellement. Un vieux papier travaillé et jauni qui a été visiblement trop manipulé. Bien trop grand pour tenir sur sa table où elle remarque sa cigarette totalement consumée maintenant.
A genoux, elle commence à déplier soigneusement à même le sol, ce qui ressemble à une carte ou un grand objet graphique. Il s’en échappe un petite note manuscrite. Mais elle s’intéresse d’abord au schéma ce qui se découvre à ses yeux. Une grande feuille carrée d’un mètre vingt de côté, la marque usée des plis, un grand cercle ponctué de chiffres de 1 à 9, des flèches reliants certains de ces chiffres et une véritable forêt de noms, tout en écriture manuscrite. Des noms, ou plutôt des prénoms rassemblés par grappes autour de chaque chiffre. Au premier coup d’oeil, elle en dénombre plus d’une centaine.
Perplexe, elle ramasse la petite note blanche qui était tombée, se relève et la lit en faisant les cent pas.
"Bianca,
Pourriez-vous avoir l’obligeance de traduire ce document en portugais, de la manière la plus personnelle possible ?
Quand au prix à payer, vous le connaîtrez bien assez tôt,Felix"
Le ton de la missive lui déplaisait fortement ainsi que cette formule alambiquée à propos du prix. Et puis elle n’était pas graphiste, à quoi rîme la traduction d’une centaine de prénoms sur un schéma ? Sous quelle forme devrait-elle rendre son travail ? Et à qui d’ailleurs : il n’y avait pas d’adresse de retour.
L’écriture semblait la même que celle du document et piquait sa curiosité. Elle revint explorer la carte.Le long du grand cercle, elle remarqua une phrase qui se distinguait de la masse des prénoms. Elle lu, difficilement tant les mots étaient petits :
"Merveilleux génie ! Tu n’as rien oublié de ce qui pouvait ouvrir à d’autres mortels les routes de l’écorce terrestre, et tes semblables peuvent retrouver les traces que tes pieds ont laissées, il y trois siècles, au fond de ces souterrains obscurs ! À d’autres regards que les tiens, tu as réservé la contemplation de ces merveilles ! Ton nom gravé d’étapes en étapes conduit droit à son but le voyageur assez audacieux pour te suivre ...! "
A la lecture de ses lignes, un sentiment de déjà vu la perturbait un peu. Incompréhensiblement, ce texte lui semblait très proche mais elle n’arrivait pas à le situer.
Mais elle n’eut pas le temps d’approfondir ce sentiment. Son regard était capté par deux noms écrits à l’encre rouge foncée.
Le premier, près du chiffre 5, était "Luc" ; le deuxième, entre le 2 et le 1, était "Blanche". Ces deux prénoms, traduits en portugais, étaient donc le sien et celui de son frère Lucas. -
Une étrange enveloppe
29 octobre 2012, par Maylis De KerangalSur le palier, un homme lui fait face, vêtu de noir, le blouson siglé du logo d’une entreprise de coursiers qu’elle ne connaissant pas, et coiffé d’un casque intégral qu’il n’a pas pris la peine de retirer. Elle se fige bras croisée : oui ? Le type articule quelque chose qu’elle n’entend pas tout en lui tendant une enveloppe de papier kraft. Elle grimace, pointe un index sur son oreille : oh hé, ça vous dérangerait d’enlever votre casque ? Le type s’exécute, glisse l’enveloppe entre ses genoux tandis qu’il ôte son casque, révélant un visage tatoué — un visage que le tatouage rendait indécelable. Bianca Fuoco ? Voix enterrée, fortement accentuée. La jeune femme, interdite, hoche la tête, alors reçoit l’enveloppe dans les bras mais, le temps de la retenir et d’y jeter un œil, ahurie, l’homme tourne les talons et dévale les escaliers.
La porte refermée, Bianca s’immobilise quelques secondes, haletante, main sur la clenche, tête penchée vers le chambranle, oreille tendue vers la cage d’escaliers quand ses yeux, eux, inspectent l’enveloppe — une poche épaisse, scellée par un ruban de Chatterton marron, et muette, aucune inscription, rien, pas même son nom, pas même le code de l’immeuble — puis, le bruit des pas s’amenuisant, elle se précipite à la fenêtre, colle son front contre la vitre, et sans savoir pourquoi, commence de guetter le coursier qui, logiquement, ressortirait de l’immeuble six étages plus bas, pour remonter sur sa bécane, et filer.
Elle patiente, piétine, c’est long, plus long qu’elle ne l’aurait pensé, l’enveloppe est serrée contre sa poitrine, le verre est glacé contre son visage et son angle de vue très aigu, mais elle attend, garde les yeux baissés sur la portion de rue que l’homme traversera pour atteindre son scooter, et, juste en face, il y a toujours cette corneille noire qui défile comme à la parade, levant haut les pattes comme un soldat lors de la relève de la garde à Buckingham Palace. Alors le coursier est apparu, les habits noirs, le casque intégral sur la tête mais les cheveux longs flottant dans son dos jusqu’aux reins, les semelles de ses baskets touchant à peine l’asphalte quand il franchit la chaussée, et une fois au pied de sa machine elle le voit qui zippe son blouson, enfile ses gants, se place sur la selle en un mouvement de voltige, souple, rapide, un félin, puis s’incline en avant pour démarrer le moteur, quand, alors que rien ne le laissait prévoir, il a subitement pivoté le buste, fait volte-face vers l’immeuble et renversé la tête en arrière, comme pour regarder à la fenêtre de son studio, surprise elle pousse un cri, se recule, finissant même par s’esquiver derrière le rideau, où retenant sa respiration, elle observe le coursier : il ne démarre pas mais continue de fixer sa fenêtre, comme s’il savait qu’elle était là, cachée, l’enveloppe de plus en plus comprimée contre son corps, puis brusquement, faisant vrombir son moteur, il se détourne, s’élance dans la rue qui résonne comme un défilé rocheux, et disparait. Alors, reprenant ses esprits, Bianca saisit les ciseaux sur l’étagère, et cœur battant à tout rompre, ouvre l’enveloppe.