D’abord elle se détendit, s’enivra du parfum rassurant du bois gorgé de pluie qui se dégradait au contact de l’air. Pour elle, un univers rêvé, un havre de paix, une incroyable perspective de bonheur. Son corps se mit à frétiller, elle commençait à se frayer une place dans ce qui allait devenir son foyer.
À l’extérieur, de gros nuages gris roulaient dans le ciel ombragé, le vent se leva, il se mit à balayer la campagne de plus en plus fort. Le souffle soulevait les feuilles mortes, les brindilles, les branches tremblaient tant que des peuples entiers d’insectes habitants en haut des grands arbres de la forêt perdaient l’équilibre. Certains planaient dans les airs en attendant d’échouer sur la terre ferme. Quant à ceux qui pouvaient voler, ils se dépêchaient de déployer leurs ailes en essayant de redresser leurs courses contrariées par la puissance des bourrasques qui les faisaient tourbillonner sur elles-mêmes.
Un premier éclair zébra le ciel d’une ligne dorée, au moment où elle s’était déjà enfoncée d’au moins un centimètre à la base de la souche, là où le mélange de liquide et de terre lui offrait un asile idéal. Le grondement rageux du tonnerre ne l’inquiéta pas non plus, la musique des gouttes qui rythmaient leur symphonie sur le toit, le sol et le sous-bois la rassura. Or, la mélodie de l’orage étouffa le bruit des quatre coussinets de velours qui retombèrent simultanément sur le parquet en partie vermoulu à quelques mètres seulement d’elle qui se délectait de l’intempérie et du délice de s’installer. Le félin glissa d’à peine un millimètre avant de se retrouver en équilibre parfait après le saut qui lui avait permis d’atteindre le hall d’entrée pour échapper à l’eau, l’élément qu’il détestait plus que tout au monde. D’avoir était rattrapé par la pluie le contrariait, il inspecta les alentours d’un regard sombre et se dit que quelque chose ne tournait pas rond. Ce lieu ressemblait à l’habitat humain qu’il avait l’habitude de fréquenter, mais en même temps son aspect avait complètement changé. Les odeurs et les bruits n’étaient plus les mêmes, à croire que la vieille humaine avait disparu… Il n’entendait plus que les sons du mauvais temps qui sévissait dehors. Alors, il secoua son pelage tigré roux et blanc, puis se lécha le corps méthodiquement.
Son ouïe hypersensible détecta comme un bourdonnement : quelque chose de vivant bougeait là-bas. « Du menu fretin », se dit-il, « Ça ne me rassasiera pas mais un peu d’exercice ne peut pas faire de mal ! ». Il tendit l’oreille et, parmi les nombreuses aspérités à la surface de la souche, repéra celle d’où venait le bruit. Le trou creusé par l’insecte qui pensait s’y réfugier et fonder une famille se transforma en piège mortel. Le chat plaqua ses membres sous son ventre, les yeux écarquillés fixés sur sa proie, progressait très lentement en direction de son encas. Une lente avancée, centimètre par centimètre, sans faire le moindre bruit, comme s’il se fondait dans l’environnement, ne faisait plus qu’un avec l’atmosphère ou se diluait dans les lattes de bois. Il fallait tout de même se presser, un imprévu était si vite arrivé, un rien pouvait advenir et gâcher tout le travail de préparation de l’assaut. Il agita son bassin quelques secondes, s’élança vers sa proie et s’abattit sur elle qui n’eut même pas le temps de réaliser qu’elle passait de vie à trépas. L’attaque avait été fulgurante, un être s’était éteint, un autre se léchait tranquillement les babines.
Après cette distraction passagère, le chat en revint à ses préoccupations et se demanda d’abord où était passée la vieille humaine qui y demeurait ? Il se souvint qu’elle l’avait recueilli au milieu d’une clairière alors qu’il n’était qu’un nourrisson miaulant d’inquiétude en appelant sa mère qui ne revint jamais. Elle l’avait recueilli, nourri et protégé mais toujours respecté sa liberté d’aller et venir comme bon lui semblait. Le chat se coucha en position de sphinx, ferma les yeux et se mit à rêver du temps où il vivait parmi les humains, au temps où il était le seul animal toléré dans le manoir.