Bruno, son frère, allait avoir trente ans. Chaque année à la même période, elle préparait cet anniversaire avec une certaine appréhension. Même rituel, même émotion, même attention.
Depuis qu’il était parti en Ardèche -vraiment pourquoi aller se planquer dans un endroit pareil où toutes les distances prennent des heures et où l’activité culturelle se réduit à quelques manifestations estivales !- elle ne l’avait revu qu’une seul fois, à Chomérac lorsqu’il avait voulu lui présenter Bianca.
Un fiasco. La rencontre avec sa nouvelle compagne avait pris la tournure d’un entretien mondain qui l’avait profondément irritée. Comment avait-il pu se mettre entre les griffes d’une fille pareille, pas besoin d’être grand psychologue pour comprendre ce qu’elle voulait... Une espèce de starlette, sculptrice à ses heures, manipulatrice le plus souvent, et pour le moins discrète sur son passé.
Tout ce qu’elle savait d’elle, c’est son origine argentine, ce qui lui donnait ce physique à la fois languissant et glamour, protecteur et autoritaire. "Pauvre idiot", se disait-elle souvent, d’être à ce point dépendant de ses sens ! Elle avait beaucoup recherché, en particulier avec la sociéte française de sculpture, pour trouver quelques indices, quelques bribes de l’ histoire de cette fille dont son intuition lui dictait de se méfier, quand était-elle venue en France, pourquoi ce prénom de Castafiore ? De quoi vivait-elle ? Et que faisait-elle dans ce trou perdu d’Ardèche, à tomber amoureuse de mon frère.
Alors, recevoir à Paris, cinq jours avant son anniversaire, de la part de la nouvelle compagne de son frère jumeau, une tête de cheval sculptée dans du papier platré, dont le museau reproduisait son propre sourire, c’en était trop... Vraiment trop.