La veille d’un jour mémorable est aussi un jour mémorable

Cet après-midi là, Henni vivait donc les dernières heures libres de son existence. ça n’est pas qu’elle ne voulait pas d’enfant, c’est qu’elle ne s’était jamais posé la question. La mère ronflait dans son fauteuil tressé, la bouche ouverte par la gravité de son crane lourd tombé en arrière. Henni se déroula comme elle imaginait qu’une danseuse le ferait, et quitta l’ombre molle de la terrasse. La rue, la rivière, les cailloux qu’elle y jetait les corps qu’elle rencontrait et qui redonnaient au sien ses nouvelles frontières. L’eau lui donnait à mesurer toute sa densité, ses mous et ses durs, son étendue. Henni était un nouveau continent qui se laissait dériver dans l’eau douce. Une plaque tectonique en dérive, sans attache, sans fracture, sans faille. Elle ne voulait rien d’autre. Certainement pas devenir dès maintenant une mère à qui il ne reste que le sommeil comme terrain de liberté. Et encore. Devenir juste un sein quand on peut être un continent. Mais cette question ne se posait pas dans le cerveau aéré d’Henni, fait de souffles et de courants. Demain pourtant le père répondra pour elle à une question qu’elle ne s’était jamais posée. à partir de demain, elle n’oubliera jamais les sensations de ce jour à la rivière, elle les revivra comme une vié antérieure, tu te souviens, mon corps quand on était un continent ?