Quand Antoine ouvrit les yeux, il se dit que c’était déjà trop tard. Que le prédateur avait décimé le troupeau. Cette fois ça y est, pensa-t-il. Tu voulais le voir ton loup, hé bien il est là. Tout près de toi. Derrière le mur de la cabane, dans la nuit tombée sur la prairie, les bruits déchiraient le silence des altitudes. Des bruits comme jamais il n’en avait entendu en trois semaines de gardiennage. Ça hurlait à la mort, ça courait dans tous les sens, ça se bousculait pour sauver sa peau, ça défonçait les clôtures qu’il avait pourtant vérifiées la veille avant de parquer les brebis. Il écouta le carnage depuis le fond de son sac de couchage, se demanda où était passé le patou, ce qu’il foutait ce chien censé protéger les bestiaux contre les attaques du carnivore.
Antoine se souvint de la fois où l’éleveur qui l’avait recruté lui en avait parlé, du loup. C’était la première fois qu’il faisait le berger, son premier été sur les alpages. Forcément, l’éleveur, il le regardait un peu de haut, il se demandait s’il pouvait lui faire confiance à ce jeune-là pour garder ses bêtes. Avec son mégot coincé entre ses lèvres, il lui avait dit que si le loup s’en prenait au troupeau, il n’y avait qu’une chose à faire c’était tirer un coup de fusil. Que, d’ailleurs, si jamais il en tuait un, ce n’était pas si grave, qu’il fallait juste faire en sorte que jamais ça ne se sache. Antoine n’avait rien répondu ce jour-là, il s’était demandé si l’éleveur était sérieux ou s’il disait ça pour le faire flipper. Il se disait que s’il faisait tout bien comme il fallait, le patou, les enclos, tout ça, il n’y avait aucune raison qu’il attaque, le loup. Il en rêvait même un peu de cet animal mythique dont tout le monde parlait dans la vallée, il espérait l’apercevoir un jour au détour d’un chemin, fier et furtif sur ses quatre pattes.
Mais là, ce n’était pas un rêve. Le loup était bien là.
Et il tuait.
Antoine attendit un long instant, pétrifié par le vacarme. Mais ça durait, ça durait, dehors les brebis continuaient de se faire dévorer. Alors, les doigts tremblants, il fit glisser la fermeture Éclair du duvet, se redressa sous le toit de la petite cabane. Il s’habilla en vitesse dans les cris des bêtes, empoigna le fusil en se
jurant que jamais il ne tirerait sur un loup, que c’était juste pour lui faire peur.
Et d’une paume hésitante, il poussa la porte de bois...