Murs blancs, calme pesant, un pâle soleil à travers les rideaux de la chambre de l’hôpital Le Parc, au bord du Var, le long de la route des Alpes.
Une chambre, un lit, Jean plongé dans le sommeil, les sourcils froncés. Le calme avant la tempête ? Damn.
Et cette sotte de Ceu, sans cesse à s’imposer, là où on ne voudrait pas qu’elle soit, quelle plaie !
Non loin de là, la grotte, à Saint Marcel, et encore la vision de son frère inanimé à l’entrée du gouffre. Des paroles incompréhensibles, suivies d’une perte de connaissance…
Bianca regarde son frère à nouveau, écoute son souffle saccadé, sort de la chambre et va fumer une énième cigarette.
Elle qui commençait tout juste à apprécier une certaine normalité dans sa vie, la voilà replongée dans ce foutu univers ummite, ce vieux mythe, une planète à 14,4 années lumières, encore un chiffre tiens, et son frère qui semble parfois aussi loin qu’Ummo.
Une vie normale, qu’est ce que c’est d’abord ? Le nouvel appartement rue des Vinaigriers, avec un loyer à payer, les charges, les voisins qui ne disent pas bonjour, les petits boulots, les traductions sous payées, c’est ça ?
Bien obligée de le reconnaître, cette escapade inespérée ici lui fait du bien. Elle se sent vivante au moins, et si fumer autant tue, devant ces belles montagnes c’est un petit bonheur tout de même, Bianca ne va pas faire la difficile, les petits bonheurs sont rares.
Une infirmière vient la prévenir que Jean s’est réveillé, elle rentre.
Accepter. Ecouter et accepter. Le récit à deux voix de Jean et Ceu, leur expérience, la rencontre qu’ils ont faite. Arrêter de sourire et y croire. Aimer voir son frère convaincu, convaincant, son aplomb, sa joie et son entrain, ça change du chercheur qu’il était, souvent en mal de découverte.
Ils sont entrés dans la grotte, par un boyau étroit, ont aligné les mètres pour se retrouver dans une première salle où ils ont pu déployer le générateur, le raccorder à la lampe torche que Bianca avait confiée à son frère. Le CO2 a commencé à faire son effet, le générateur s’est mis en action. Et la lumière fut.
Lumière divine, qui a permis de voir au-delà, perçant ainsi la paroi de la cavité, au devant des concretions, de tout ce qui d’habitude attire le regard mais l’obstrue aussi. Et là, ils ont perçu une autre lumière, plus faible que la leur, mais ils étaient sûrs qu’une autre salle jouxtant la leur était éclairée. Ils ont perçu des ombres mouvantes aussi. Emouvantes.
Ceu a découvert un autre passage, le long d’une des parois de la salle, ils s’y sont engouffrés, pour être au plus près de ce qu’ils avaient perçu.
Ils ont descendu ce boyau plus étroit, vas-y que je rampe, que je m’agrippe à tout ce qui peut nous faire avancer un peu plus vite, un peu plus loin.
Deuxième salle, plus petite. Des parois humides, suintantes, des gouttelettes qui tombent dans leur cou, on s’en fout, tiens, the show must go on, allume la torche !
Jean s’est vite senti mal, le CO2 c’est comme les clopes, les poumons n’apprécient pas trop… Il a fallu remonter fissa.
Ils mettent ça sur le compte du gaz carbo, qui a niqué leurs bronches, mais ils ont eu le souffle coupé par ce qu’ils ont vu, à la lumière de la torche. Et Ceu, après avoir déposé Jean à l’entrée de la grotte, est redescendue, seule, avec un masque de protection, trop pressée de les revoir.
De l’autre côté de la paroi de cette deuxième salle, toute une organisation, sans faille. Des ombres qui font place à des corps, des signes sur les murs, des constructions improbables, de l’effervescence. Sentiment étrange d’être la première personne à voir ce manège enchanteur, entre rêve et réalité. Plaisir non dissimulé voyeur, voir sans être vue. Et soudain, ce visage familier au milieu de toute cette activité, cet homme, j’ai inspiré trop d’oxygène ou quoi ? Mais non, c’est lui, comme un poisson dans l’eau.
C’est décidé, ils redescendront ce soir, tous les trois à la rencontre de leurs nouveaux amis ummites. Avec des bonbonnes à oxygène et un message à leur transmettre. Discrets aussi, parce qu’ERDF semble ne pas être indifférent aux ressources de la grotte.